Le Passé, Ashgar Faradhi

Après avoir triomphé deux fois à Berlin avec A propos d’Elly et Une séparation, respectivement Ours d’argent et Ours d’or, Ashgar Faradhi est enfin sélectionné à Cannes. Pour ce sixième long-métrage, l’iranien n’a pas choisi la facilité : le Passé a en effet été produit, réalisé et tourné à Paris, avec des acteurs français. Faradhi a écrit le scénario et les dialogues en farsi, puis les a fait traduire par sa fidèle interprète, également présente sur le tournage. Le risque était donc grand de voir le naturel de sa mise en scène entamé par une direction d’acteurs dès lors difficile. Par ailleurs, on pouvait légitimement se demander ce qu’il resterait de l’écriture du drame familial propre à Faradhi, une fois libéré de l’arrière-plan iranien. Pourtant, après projection, il est évident que l’exil n’a pas entamé le talent du réalisateur. En dépit de quelques maladresses, le film est une réussite.

Tout commence par des retrouvailles dans un aéroport français. Marie attend Ahmad, qui débarque de Téhéran pour procéder aux formalités administratives liées à leur divorce, entamées depuis déjà plusieurs années. La séparation doit se conclure rapidement, puisque la jeune femme attend un enfant de Samir, son nouveau compagnon. Cette première scène contient tout le propos du film : les deux personnages se ratent presque, ils tentent de se parler mais ne s’entendent pas, séparés par une vitre, qu’on devine symbolique. Cette séquence, très forte, est annonciatrice de ce qui va suivre : Le passé met en effet en scène le drame d’une famille gangrénée par les non-dits. Le film est construit comme une tragédie moderne, dans laquelle l’incommunicabilité joue le rôle de puissance funeste.

Ahmad arrive dans cette famille au moment de l’acmé, le moment le plus aigu de la crise tel qu’on l’entend dans la tragédie grecque : Lucie, la fille de Marie, née d’un premier mariage, ne peut supporter le nouveau compagnon de sa mère et estime que celle-ci doit payer pour son instabilité. Ce que le spectateur prend d’abord pour un caprice d’adolescente se révèle bien plus profond, et c’est là qu’Ahmad intervient. Il va endosser le rôle de confident au sens le plus classique du terme : en se faisant le relais d’une parole jusqu’alors empêchée, il conduit l’action jusqu’à son dénouement. Cette fonction convient très bien à la posture du personnage, qui semble dominer la crise avec une grâce et un calme qui serait confondant s’il ne semblait artificiel. Alors que les autres acteurs ont joui d’une relative liberté d’improvisation, l’interprète du rôle d’Ahmad, seul arménien de la distribution, a dû jouer une partition très écrite, trop écrite.

Tout le film repose ainsi sur le secret qui entoure le suicide de la femme de Samir, plongée depuis plusieurs mois dans un coma probablement irréversible. Quelles ont été les circonstances de ce suicide ? C’est à l’une de ces questions que le film tente de répondre par révélations successives, dévoilant pan à pan la vie des personnages, assemblant les pièces d’un puzzle dans lequel le passé imprime toujours sa marque au présent, créant à partir du quotidien les éléments d’un suspens souvent captivant. La logique de l’assemblage est très discrète, et le spectateur, comme dans tout bon polar, ne devine l’importance de tel détail qu’a posteriori : le fait que Lucie soit au courant de l’arrivée d’Ahmad alors que sa mère la lui a cachée n’a rien d’anecdotique… Pour autant, à force de lorgner vers le polar, le film perd de sa charge émotive : les révélations du dernier acte sont tarabiscotées, et le spectateur, tout à son entreprise de recoupement, est finalement détourné de ce qui fait pourtant la grande qualité du film : la puissance et la sincérité de ces personnages. Fort heureusement, le final, bien qu’attendu, est susceptible d’embrumer les yeux les plus secs. L’image sur laquelle se déploie le générique est d’une simplicité bouleversante.

 

Date de sortie : 17 mai 2013

Réalisé par : Asghar Farhadi

Avec : Bérénice Béjo, Tahar Rahim, Ali Mosaffa

Durée : 2h10

Pays de production : France