Lincoln, Steven Spielberg

Avec Lincoln, Steven Spielberg renoue avec son penchant pour la grande Histoire. Après avoir filmé le débarquement dans Il faut sauver le soldat Ryan et traité l’esclavage dans Amistad, le voici qui s’attèle à la figure du légendaire président des Etats-Unis au moment du vote du Treizième amendement abolissant l’esclavage. Si Lincoln est une chronique réussie de la vie politique américaine, le traitement de la matière historique pose problème. Qu’il le veuille ou non, le réalisateur aux prises avec ce genre livre au public une leçon d’Histoire. Il doit à celui-ci de marquer une distance avec son objet d’étude et de l’interroger. Sans cela, il prend le risque d’influencer insidieusement le spectateur en le délestant de son sens critique. Ne nous trompons pas : il s’agit ici d’essayer de distinguer le biopic de qualité de l’apologie facile,  banale et peu stimulante.  Et, malheureusement, ce Lincoln appartient à la seconde catégorie.

Spielberg ne fait pas l’économie de pathos ni d’effets grossiers. Il souligne les émotions à grandes doses de musique, joue sur les points de vue, manie à sa guise les tempéraments de ses personnages, berce finalement le spectateur là où il faudrait le tenir éveiller et nourrir sa réflexion. Ces procédés sont contestables dès lors que l’on traite d’Histoire puisqu’ils dissimulent au moins un point de vue culturellement marqué, au plus une interprétation personnelle. Le genre historique réclame de ne pas virer au panégyrique sans quoi il floue le spectateur : il se fait passer pour un travail d’historien alors qu’il n’est qu’un film de divertissement.

Cet écueil accompagne en outre une conception étriquée de l’Histoire. On peut notamment déplorer les excès de solennité dans des discours à l’occasion desquels le temps semble s’arrêter. Encore, Lincoln disparaît dans l’ombre, prend la pose, change d’opinion dans un clin d’œil balourd à la postérité. A tout moment il semble qu’un grand peintre, caché dans un coin, va surgir et tirer son pinceau pour immortaliser l’Histoire, la Grande.  Non, nous n’y croyons pas. Spielberg traîne là une vision de l’Histoire enfantine, faite de solennités inopportunes et de roulements de tambour. Jamais sa relecture ne se départit d’un regard contemporain convenu et plutôt béta.

Spielberg sauve malgré tout son film, d’abord par une esthétique irréprochable. Ses compositions en clair-obscur font songer à des toiles de Rembrandt ou à des scènes de genre à la Greuze. On pense particulièrement à la veillée funèbre qui clôt le film.

Mais surtout, Lincoln est remarquable en ce qu’il révèle les coulisses d’un vote historique. Le réalisateur l’affirme : il est l’aboutissement d’une volonté politique portée par le plus intègre des hommes qui utilise à cette occasion les méthodes les plus déplorables. Loin de convaincre le parlement par les idées et les discours, parlement majoritairement esclavagiste, l’équipe de Lincoln use allègrement de menaces sourdes, de corruption et de manipulations. Le film est un jeu de positions dans lequel tous les coups sont permis et où l’argument du progrès humain n’est que poudre aux yeux, une sorte d’étendard vain et sans poids.

Il en résulte un puissant hymne au pragmatisme politique. Le point culminant est atteint quand Stevens, abolitionniste convaincu de longue date, joué par un Tommy Lee Jones énorme de charisme et de retenue, contrevient à toutes ses valeurs et accepte de nier publiquement l’égalité des races pour faire avaler la pilule libertaire. Spielberg définit par là l’essence de la politique. Il s’agirait d’user de stratagèmes et de transiger pour progresser pas à pas. L’absolu idéologique est vain ; il n’est pas une revendication, mais un horizon qu’il faut savoir passer sous silence.

 

Date de sortie : 30 janvier 2013

Réalisé par : Steven Spielberg

Avec : Daniel Day-Lewis

Durée : 2h29

Pays de production : Etats-Unis