Chocolat, Roschdy Zem

Roschdy Zem sait choisir ses sujets, c’est certain. En s’emparant de l’histoire bigrement romanesque de Chocolat, premier artiste noir à s’imposer sur les scènes parisiennes au XIXème siècle, l’acteur réalisateur relance un engouement populaire pour ce clown mythique dont le succès révèle paradoxalement le profond racisme de l’époque. Mais un bon sujet n’a jamais suffi à faire un bon film, et l’honnêteté du propos ne sauve pas tout.

Pour être honnête à notre tour, attachons-nous d’abord aux réussites du projet. Depuis la sortie du film, mais aussi grâce à l’étude historique de Gérard Noiriel (Chocolat, la véritable histoire d’un homme sans nom), tout le monde a ces jours-ci le nom de « Chocolat » à la bouche. Quelle réhabilitation pour celui qui termina sa vie dans la misère et l’indifférence! On découvre ou redécouvre le parcours extraordinaire de ce fils d’esclave cubain qui après moult pérégrinations et petits emplois en vint à former avec Footit l’un des premiers couples auguste/clown blanc de l’histoire du cirque, innovation qui lui valut un succès phénoménal dans le Paris de la Belle Epoque – tant et si bien qu’il fut croqué par Toulouse-Lautrec, filmé par les frères Lumière et immortalisé par la langue. Pour un tel portrait, Roschdy Zem a le mérite de ne pas s’arrêter au seuil de la piste : à partir des archives disponibles (dont le fameux petit film des frères Lumière auquel il rend hommage), il reproduit les plus fameux sketches du duo, devenus depuis des classiques de la comédie clownesque. Courses-poursuites, claques et coups de pieds en cascade, imbroglios avec des objets défaillants, les séquences consacrées aux prestations du duo sont nombreuses et souvent savoureuses. Chapeau bas aux acteurs : le sourire lumineux d’Omar Sy et la virtuosité de James Thiérrée ressuscitent la magie de ce couple détonnant. Car bien sûr, qui de mieux indiqué que le petit-fils de Charlie Chaplin, l’enfant de la balle au talent sidérant, pour interpréter le partenaire ingénieux et ambigu de Chocolat?

L’histoire du clown est également passionnante dans la mesure où elle symbolise l’atmosphère et les mentalités d’une époque. Si le duo obtient pareil succès, c’est indubitablement parce qu’en pleine expansion coloniale, il tend à la société bourgeoise le miroir de sa domination sur l’homme noir. Footit commande et frappe, Chocolat encaisse les coups et baisse l’échine. Le clown blanc reste dépositaire du pouvoir, l’auguste sourit benoitement : tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. En l’occurrence, le film rend bien compte du racisme ambiant, dans ses manifestations les plus outrancières ou les plus ordinaires. Footit même, le partenaire fidèle et somme toute plutôt aimant, se taille sans vergogne la part du lion dans les recettes du duo. L’injustice est si ancrée que celui qui la commet ne la perçoit pas.

A plusieurs égards donc, le propos légitime l’intérêt dont le film fait l’objet. Mais tout de même, il est difficile de taire plus longtemps notre irritation face à des oeuvres qui pêchent tant par la grossièreté de la narration que par la pauvreté de la recherche cinématographique. Peu nous importe que Roschdy Zem ait choisi par moments de s’écarter de la vérité biographique du personnage – comment reprocher à un réalisateur de fictionner sur son sujet ? -, mais on regrette finalement ces écarts qui ne visent qu’à grossir le trait ou à faire pleurer dans les chaumières. Quel besoin par exemple de faire débuter Chocolat dans un cirque miteux de province alors qu’il travaillait déjà au Nouveau Cirque lorsqu’il rencontra Footit? On avait saisi sans cela le mouvement d’ascension et de chute qui caractérise la vie du clown. Mais encore, quel intérêt de filmer brièvement Footit approché par un homosexuel dans un café parisien? La scène n’apporte rien, et il eût mieux valu laisser le spectateur rêver, conjecturer, s’interroger sur le personnage. Passons. Le plus décevant de l’affaire réside peut-être dans le fait que, comme beaucoup d’autres, Roschdy Zem se contente grosso modo de raconter une histoire sans explorer, sans renouveler, ce que peut et permet le cinéma. Que dire de ces flash-backs usés jusqu’à la corde, signalés pour les spectateurs un peu lents à la comprenette par une photographie soudainement jaunie? Voilà un procédé tout prêt à l’emploi qui n’a pas dû coûter un long temps de réflexion… Bref, on ne veut pas se fâcher avec les raconteurs d’histoires mais on est bien chocolat de ne pas avoir rencontré un « auteur » de cinéma.

Date de sortie: 3 Février 2016

Réalisé par: Roschdy Zem

Avec: Omar Sy, James Thiérrée, Clothilde Hesme

Durée: 1h50.

Pays de production: France

Site du film (bien fait!): http://clown-chocolat.com/