Orchidee, Pippo Delbono

Le théâtre de Pippo Delbono ne laisse personne indifférent. Qu’on le déteste ou qu’on l’adule, il met en branle nos émotions, nous fait passer de la colère à l’attendrissement, de l’indignation à l’enthousiasme. Ce qui fait de lui un véritable artiste.

Orchidee est un spectacle créé en hommage à sa mère récemment décédée. Il est empreint de cette gravité que le petit garçon doit à cette mère façonnée par les principes, la dignité, la rigueur, l’amour et la foi catholique. Mais, comme tous les spectacles de Pippo, il ne s’arrête pas là. Il traite des grandes questions de l’existence, l’amour, la mort, et nous interroge avec un esprit toujours aussi critique sur le monde comme il va et sur le rôle que le théâtre peut encore y jouer.

Le spectacle commence avec nos voix ; les portes de la salle sont fermées, il est l’heure, mais rien ne vient : ce sont nos bavardages qui introduisent la représentation. Et puis, de la régie, la voix de Pippo vient à notre rencontre, toujours chaleureuse, malicieuse, comparable à nulle autre pour raconter des histoires. Il commence par nous souhaiter un « bon divertissement », questionnant aussitôt cette formule, dont on ne perçoit pas nécessairement l’ironie. Que venons-nous vraiment faire au théâtre ? Rien ne se passe encore sur scène, et Pippo nous parle de notre rapport aux médias, aux portables, à la télévision et de nos tentatives éperdues d’enregistrer ce que l’on voit pour comprendre, peut-être « pour retenir le temps qui nous échappe ». La voix de Pippo est le fil conducteur du spectacle, notre point de repère. Elle convoque de grands auteurs, citant Shakespeare, Woolf, Senghor ou Tchékov, mais elle est aussi faite des textes écrits par lui-même, qui nous raconte ses souvenirs, des anecdotes apparemment insignifiantes, souvent drôles, des réflexions sur la politique, le temps, la vie.

On retrouve avec plaisir certains des acteurs qui accompagnent Pippo depuis de nombreuses années. Avec certains, dont le sourd microcéphale Bobo que Pippo a fait sortir d’un asile psychiatrique, il entretient un rapport d’amour fraternel qui désamorce les accusations de voyeurisme dont il a pu être l’objet. Pippo nous met face à des corps jeunes, vieux, souvent singuliers par leur maigreur, leur rondeur ou leur taille ; des corps qui nous dérangent, comme cette femme au masque de souris riant silencieusement aux éclats avec des gestes maladroits.

Comme tous les spectacles de Pippo, Orchidee est difficile à décrire. On y retrouve l’hétérogénéité qui caractérise son travail et qui pourra en agacer plus d’un : les vidéos prises avec son portable — barbies alternant avec des singes, momies humaines, informations télévisuelles sur la guerre au Mali —, le trisomique Gianluca costumé comme un empereur romain qui gesticule en déclamant l’opéra Néron de Mascany en play back, la danse de Pippo devant un fond de scène psychédélique, les souvenirs  que plusieurs des artistes viennent raconter avec plus ou moins de sérieux, Bobo dans un fauteuil, des photos de Bobo en Patagonie, la danse de Gianluca en vedette de crazy horse, un couple nu sur la scène récitant des poèmes français…. La musique, de Miles Davis à Deep Purple, en passant par Victor Démé (à découvrir sur la playlist du site) y est d’une grande diversité et toujours très forte. Les acteurs prennent la parole, et s’adressent ouvertement à nous : l’un pour crier dans un mégaphone des discours révolutionnaires, l’une pour mettre en vente les imitations picturales de grands maîtres que possédait sa grand-mère (Monet, Manet, Velasquez), l’autre pour nous raconter son expérience de la communauté autonome danoise de Christiania.

Si l’humour n’est jamais absent (les rires du public ne sont pas rares), certains tableaux nous touchent au plus profond de nous-mêmes : ainsi la longue embrassade de Gianluca et d’un autre acteur, nus sur scène, ventre contre ventre,  la course d’un couple devant un fond de scène de végétations en flammes sur le texte que Roméo déclame à la mort de Juliette, ou encore la vidéo d’une mante religieuse prenant la forme et la couleur de l’orchidée pour dévorer sa proie.

Le spectacle s’achève sur une scène d’une grande force émotionnelle. Accompagné d’une vidéo de cerisiers en fleur et de la voix de Joan Baez, Pippo raconte  l’enterrement de sa mère dont on vient de voir les derniers instants filmés par lui-même, sur son lit d’hôpital, récitant du Saint Augustin, la main de Pippo caressant éperdument celle de sa mère, aux doigts déjà serrés et bleuis par la mort.

Il y a toujours des gens qui partent pendant les représentations de Pippo Delbono mais croyez-le, le cheminement parfois nécessaire pour apprendre à connaître et apprécier son travail est bénéfique. On s’aperçoit alors que tous ses spectacles (ses films et ses livres) parlent de la même chose : la vie, avec ce qu’elle suppose d’instabilité. Il faut savoir se laisser guider par Pippo, lui faire confiance, sans toujours questionner la cohérence du spectacle. Et il faut savoir rire, pleurer, rugir, et surtout, danser avec lui, de tout notre pauvre corps d’Homme.

 

Les dates d’Orchidee en France sont à venir sur la saison prochaine.

Joue actuellement Dopo la battaglia, son spectacle précédent : les 11 et 12 avril à Annecy, le 15 avril à Niort, les 18 et 19 avril à Cherbourg et les 22 et 23 avril à Brest

Consultez le site de la compagnie de Pippo Delbono, en particulier l’agenda de ses tournées.