SUJET, Triptyque de la personne, compagnie GDRA

Après Singularités ordinaires et Nour, le GdRA (Groupe de Recherche Artistique) complète sa recherche autour de la personne.

Cette compagnie se place à l’avant-garde du spectacle vivant, selon la volonté de ses fondateurs, Christophe Rulhes et Julien Cassier, d’élargir celui-ci au monde de l’anthropologie, de la sociologie et de la psychologie. Leurs spectacles mêlent le cadre fictionnel de la scène et des éléments de réel : ils se nourrissent des récits de vie de personnes rencontrées, personnes qui posent souvent la question de la transmission d’une tradition. Ces « identités narratives » se disent à travers l’engagement du corps sur scène, le corps du danseur, du circassien mais aussi celui du musicien et du comédien.

On peut sortir de ce spectacle à la fois séduit et désemparé : il faut s’interroger pour savoir de quoi il est vraiment question. C’est un spectacle qui se présente comme un texte ou comme une polyphonie : pendant la représentation, on s’accroche à plusieurs fils dont on essaie de suivre le chemin, sans y parvenir complètement. Mais le tissage est tellement dense que l’on s’y perd tout en pressentant bien la cohérence profonde du tout. Les acteurs, par les textes, les projections d’interviews, la danse et l’acrobatie, nous font cheminer dans le sens, pendant et après le spectacle, pour aborder le thème de la personne « fragile », celle que l’on soigne sous prétexte qu’elle ne paraît pas adaptée à notre société.  On nous invite implicitement à nous questionner sur la normalité, celle qui, sous un masque de bienveillance, restreint et marginalise.

Certains éléments de mise en scène de la compagnie se retrouvent d’un spectacle à l’autre, toujours aux frontières du réel : les sept comédiens sont tous sur scène dès l’entrée du public, il n’y a pas de coulisses et lorsqu’ils ne sont pas en jeu, ils évoluent naturellement, sans se cacher pour se changer ou boire. Et à la fin du spectacle, ils restent sur scène. Il n’y a pas de décor, hormis les chaises des comédiens. Seules les projections font évoluer la scène : une forêt, les interviews, des photos, des fragments de films en noir et blanc. Le plateau est cependant structuré par la présence des instruments et par plusieurs cordes lisses. La musique live tient une place particulière dans la représentation : elle est un langage, au même titre que le mouvement ou la parole, et elle contribue largement à nous entraîner dans une appréhension sensible du spectacle.

SUJET est structuré en quatre fragments, chacun développant un portrait. Chaque portrait s’articule autour de la question du fou et du guérisseur, la guérison du fou et le fou qui guérit. Le premier portrait est celui du père d’un des personnages. Son interview est projetée en très grand écran ; il y raconte en occitan une expérience qu’il a vécue avec des cerfs, et son don de guérisseur depuis cette rencontre. Le second portrait est celui d’un homme du XIXème, interné et libéré à la suite d’une conférence qu’il aurait faite sur les rituels du serpent des Indiens hopi. Vient ensuite le touchant portrait de Joël, interné dans l’asile où le groupe s’est rendu afin de travailler sur la manière dont on considère ceux que l’on dit « fous » ; une tirade émouvante, entre folie et génie. Enfin, vient le portrait d’une chanteuse de « tarentelle » qui évoque la piqûre salvatrice qu’une araignée faisait aux malades de l’âme dans la région italienne du Salento. Chaque portrait est abordé de différentes manières, textes lus, photos projetées, danse, corde lisse, pour aller de la singularité d’un sujet à l’universalité de l’être.

La compagnie interroge notre manière, à nous Occidentaux, de soigner la folie. Chez nous, le fou n’est pas sujet mais objet, il n’est pas acteur de sa guérison, comme l’étaient les « tarentés », mais objet des médecins, dépossédé de celle-ci par la prise de médicaments. Le spectacle revendique le droit de mener l’expérience intime de la guérison de manière autonome et dénonce sans doute une norme qui porte atteinte à cette liberté. En creux, le spectacle nous interroge sur ce qu’est un sujet et sur la manière dont se construit un individu moderne.

Ce « théâtre des humanités », peut-être à considérer comme l’avenir du spectacle vivant, s’aborde à la fois comme un théâtre intellectuel et comme une offrande sensible. Il parle à notre cerveau mais aussi et avant tout à notre corps de spectateur, un corps d’individu inconsciemment et incessamment préoccupé par la création de sa propre identité.

Site du GdRA : http://le-gdra.blogspot.fr/

Le 23 mai 2014, au Parvis, Scène nationale de Tarbes, salle Le Pari. 
Le 27 mai 2014, à l’Escale, Théâtre de la Ville de Tournefeuille.
Le 30 octobre 2014, au Cratère, Scène Nationale d’Alès, dans le cadre du festival Cirque en Marche organisé par La Verrerie.
Le 28 novembre 2014, au Manège, Scène Nationale de Maubeuge.
Le 19 février 2015 au Théâtre des 13 Arches, Scène Nationale de Brive-la-Gaillarde.
Le 02 avril 2015 à l’Hexagone, Scène Nationale de Meylan, dans le cadre du festival Détours de Babel.
Le 09 avril 2015 à L’Agora, PNAC de Boulazac.

Photo le GdRA / Edmond Carrère.