La fille de Brest, Emmanuelle Bercot

Emmanuelle Bercot semble aimer les portraits de femmes. Après son dernier film consacré au travail épineux d’une juge pour enfants, elle s’empare du personnage d’Irène Frachon, connu depuis 2007 pour son combat contre le Mediator. Hommage à cette médecin hors pair qui a su lever la tempête depuis son CHU du bout des terres, La Fille de Brest explose comme un hymne joyeux et puissant. Nul doute que la cinéaste souhaite contribuer à médiatiser encore davantage ce scandale de santé publique, à un moment où l’affaire est loin d’être liquidée ; Irène Frachon, qui a accepté ce projet d’adaptation de son livre Mediator 150mg, Combien de morts? et suivi les étapes de la réalisation, remercie ce vent favorable qui ramène le paquebot Mediator à la vue de tous. Mais le film apparait aussi comme une belle relecture du réel, éclairant son profond rapport au mythe, et exalte un héroïsme féminin tout en lutte et en espoir.

En 2007, la pneumologue Irène Frachon n’est pas seule à lancer l’alerte sur la cardiotoxicité du Mediator, anti-diabétique commercialisé par les laboratoires Servier depuis 1976. Au CHU de Brest, plusieurs médecins et chercheurs mènent l’enquête à ses côtés, mais se heurtent au mépris de l’industriel et de certaines instances médicales. Dès le départ, la configuration de la lutte rappelle toute la mythologie des combats inégaux et opiniâtres, de David contre Goliath au petit village gaulois contre les Romains. La réalisatrice ne boude donc pas son plaisir en jouant sur l’opposition entre la horde des Bretons et les représentants parisiens du laboratoire et des autorités sanitaires. La scène durant laquelle la fine équipe ne parvient pas à s’extraire du tourniquet à l’entrée de l’Afssaps (Agence nationale de sécurité du médicament de l’époque) est assez drôle et bien vue – il vaut mieux parfois ne pas réussir à s’adapter au monde moderne tel qu’il tourne… Qu’il s’agisse de la façon de se vêtir, de se déplacer, de s’exprimer, les contrastes sont souvent accentués et pas toujours pour le mieux, il faut le reconnaître. Mais entre le film documentaire qui rend compte au plus juste de la complexité des choses et l’épopée qui permet au spectateur de s’identifier à ce parcours de luttes, Emmanelle Bercot a fait son choix. Et lorsqu’elle fait monter peu à peu le son d’une cornemuse alors que les provinciaux remportent une première victoire contre les défenseurs du médicament, on se sent réjoui, enthousiaste.

Quant à Irène Frachon elle-même, la cinéaste en fait une héroïne irrésistible. Pour incarner la pneumologue, elle choisit une actrice danoise connue pour son rôle dans la série Borgen, Sidse Babett Knudsen. Peu importe l’accent, pourvu qu’on ait l’ivresse. La comédienne crève l’écran: énergique, sincère, entière, elle est de celles dont on peut croire qu’elles renversent tout sur leur passage. A l’image de sa maison de bord de mer fouettée par les vents, Irène-Sidse ne craint pas les bourrasques. Dès le début du film, la médecin apparaît comme une coureuse de fond. La première séquence la montre plongée dans l’océan, bravant vagues et courants, puis courant dans les couloirs de l’hôpital pour rejoindre la salle d’opération dans laquelle elle rassemble déjà les preuves des effets délétères du Mediator. Les gros plans sur les pieds du personnage s’imposent comme un leitmotiv (malheureusement moins présent dans la seconde partie du film). Sa vie est vécue à toute allure, à flux tendu, même lorsque la médecin rentre chez elle retrouver ses quatre enfants qui composent un joyeux orchestre et rythment les soirées d’hiver. Inépuisable, elle communique sa fougue et sa colère à tous ceux qui l’entourent, elle fonce. Seul son collègue chercheur a tendance à s’enfoncer dans son fauteuil chaque fois qu’elle déboule dans son bureau, ne sachant jamais ce qu’amène ce nouvel ouragan. C’est bien simple, Irène-Sidse, quand on la voit, on se sent grandi. Dans son humanité avec ses patients, dans la générosité avec laquelle elle mène la bataille, nous puisons force et joie.

Précisément, les héros sont des femmes chez la cinéaste, dans La Fille de Brest plus encore que dans ses précédents films. Elles sont plusieurs à graviter autour d’Irène-Sidse, les yeux brillants et la révolte chevillée au corps. A côté d’elles, les hommes font parfois pâle figure, avec en première ligne le complice des débuts, bedonnant et faible, interprété très justement par Benoit Magimel. Ce rapport homme/femme semble d’autant plus symptomatique que le personnage du Professeur Le Bihan est un des seuls à avoir été complètement transformé par la fiction : alors qu’ Irène Frachon entretenait en réalité d’excellents rapports avec ses collègues du CHU, la réalisatrice charge ce chercheur d’incarner toutes les hésitations et les lâchetés auxquelles la pneumologue a été confrontée dans son parcours. Comme le clame une journaliste du Figaro qui soutient la médecin : « Le problème c’est qu’il a pas de couilles, mais on va pas lui prêter les nôtres ». Il ne s’agit pas de caricaturer la dimension féministe du film – plusieurs personnages masculins sont aussi remarquables – ; mais à ses yeux, résolument, la force et le courage sont aujourd’hui du côté des femmes. Irène Frachon, parangon du héros épique, sous l’oeil d’Emmanuelle Bercot.

La Fille de Brest, réalisation Emmanuelle Bercot, sortie le 23 novembre 2016,128 mn, avec Sidse Babett Knudsen (Irène Frachon), Benoît Magimel (Antoine Le Bihan) , Charlotte Laemmel (Patoche) ..