Cendrillon, Maguy Marin

A côté du travail avec sa compagnie, Maguy Marin a plusieurs fois dirigé le Ballet de Lyon. En 1985, la chorégraphe, répondant à une commande, s’emparait du ballet de Prokofiev, « Cendrillon ». S’emparait, oui, d’une façon moderne et théâtrale qui désorienta souvent les danseurs  de l’institution. Vingt-sept ans plus tard, après plus de 450 représentations  en France et à l’étranger qui témoignent du succès phénoménal de la proposition, «Cendrillon » est repris à l’Opéra de Lyon. Retour à la maison donc, d’un spectacle qui s’offre aussi désormais comme un témoin clé dans l’histoire de la danse.

Aujourd’hui, et cela éclaire bien sûr le succès et la longévité du ballet, m’apparait d’abord la grande cohérence des propositions de mise en scène. La matière première étant le conte de Perrault, la chorégraphe choisit de plonger entièrement dans un univers enfantin, comme si l’histoire de Cendrillon nous était racontée par un enfant, dans un monde d’enfants.

La scénographie de Montserrat Casanova, collaboratrice fidèle de Maguy Marin, donne le la. Lorsque le plateau s’éclaire lentement, nous découvrons une sorte de maison de poupée grandeur nature à trois niveaux, divisée en plusieurs compartiments. Le dispositif, ingénieux, offre des espaces bien séparés qui permettent de signifier les multiples lieux de la fable (le réduit où Cendrillon astique et balaie au premier niveau, la salle de bal au deuxième niveau, les diverses contrées traversées par le prince à la recherche de Cendrillon au dernier niveau…) sans changement de décor massif. En même temps, les petites transformations incessantes à l’intérieur de la maison renvoient au plaisir de l’enfant à manipuler et réorganiser ces boîtes à histoires (et hop, faisons apparaître un escalier pour relier le deuxième niveau au premier et mettre en scène la descente du prince !).

Dans cet espace Maguy Marin fait apparaitre les personnages du conte sous les traits des poupées de notre enfance : Cendrillon et le prince sont ainsi apparentés à un couple de Ken et Barbie clignotant, la bonne fée a troqué sa baguette magique contre l’épée laser d’un bioman, le trio marâtre-Boulotte-Echalas est incarné par trois poupons bouffis et grimaçants. Le parti-pris est poussé à l’extrême par la chorégraphe puisque les corps des danseurs disparaissent entièrement sous les attributs de leur personnage – combinaisons avec ou sans rembourrages, masques, costumes parfois très encombrants, accessoires… Cette proposition s’avère la plupart du temps très juste et porteuse, en ce qu’elle conduit les interprètes à inventer le mouvement d’une façon plus théâtrale et libérée des conventions classiques (ainsi, les « trois grasses » élaborent une gestuelle et des déplacements adaptés à leur costume gonflé et difforme, au potentiel particulièrement comique).

L’univers enfantin élaboré par Maguy Marin passe enfin par le choix d’une bande-son (composée par Jean Schwartz) qui fait entendre, à plusieurs reprises au fil du ballet, cris et rires d’enfants, sonorités synthétiques de jouets modernes, créant des intermèdes inattendus et décalés dans la partition de Prokofiev. C’est peut-être là l’invention la moins heureuse : la dynamique musicale s’en trouve souvent interrompue et certains de ces intermèdes (comme celui où la fée prépare Cendrillon au bal), trop longs, nuisent au rythme du spectacle.

La cohérence et la justesse des propositions scéniques, nous le voyons, a certainement fait le succès du ballet que bien des parents, spectateurs de la première heure, reviennent voir aujourd’hui avec leurs enfants. Mais c’est aussi, incontestablement, l’aspect patrimonial du spectacle qui justifie son importance et sa diffusion massive. Car les choix de la chorégraphe – distorsion de la partition originale, anonymat des danseurs masqués, libération du mouvement pensé à partir du corps du personnage – ont su ouvrir des voies nouvelles dans l’histoire du ballet classique.