Vladimir Vladimirovitch, Bernard Chambaz.

Bernard Chambaz adopte un parti-pris narratif étonnant et choisit de raconter l’histoire d’un homonyme de Poutine pour mieux appréhender la complexité de la Russie et de son leader. Loin de l’objectivité historique, il assume pleinement le recours à l’invention littéraire, aux émotions, à la subjectivité, pour cerner un pays controversé.

Le roman commence en février 2014, lors des jeux olympiques de Sotchi. L’équipe russe de Hockey vient de perdre les quarts de finale. Le président Poutine affiche à la télévision des yeux d’enfant triste, des yeux de phoque. L’honneur national est bafoué. Les journaux rappellent, nostalgiques, la grande époque de la machine rouge, lorsque l’équipe d’URSS raflait tous les titres olympiques. Dans ce contexte sportif affligeant, la crise ukrainienne et le rattachement de la Crimée à la Russie passent presque inaperçus. On partage alors les déceptions olympiques, et les autres tribulations du dénommé Vladimir Vladimirovitch Poutine, peintre hanté par différents motifs mortifères et grand amateur de littérature. Il se retrouve, aux portes de la retraite, dans un état d’hébétude proche de la dépression. A la fois exaspéré et fasciné par son illustre homonyme, il collectionne tous les documents concernant le président russe. Chaque jour, après quelques considérations météorologiques ou intimes, avec une minutie maniaque, il accumule des notes sur cet homme dans un gros calepin. Il les  reprend et les organise ensuite dans six petits cahiers, deux rouges pour l’enfance et l’adolescence, deux gris pour sa carrière au KGB et au FSB et deux noirs pour le président.  C’est à travers le regard mélancolique et désabusé de ce personnage qu’est abordée l’histoire de la Russie et de l’homme qui la dirige depuis 1999. Le récit de Vladimir Vladimirovitch par Vladimir Vladimirovitvh n’est donc pas une autobiographie. Ce n’est pas non plus, à proprement parler, une biographie, mais plutôt une somme de notes et impressions, fruit d’une compulsion maladive.

Les choix narratifs opérés au fil des pages sont tout d’abord déroutants, lors du cauchemar initial par exemple. Parfois frustrants aussi, car l’arrière-plan historique n’apparaît qu’au fil de la méditation d’un homme que d’autres sujets retiennent, bien souvent, et qui ne brille pas par son discernement. Un homme plus intéressé par le sport que par la politique. Un russe moyen, accaparé par les préoccupations moyennes d’un pays  qui a perdu sa grandeur passée.

Si vous n’êtes pas très au point sur l’histoire russe, préparez-vous à compulser quelques notes de remises à niveau. Mais n’accusez pas le livre de ne pas vous les livrer ! Il n’a pas vocation à être un roman historique, encore moins un essai sur la Russie contemporaine. Bien au contraire, il illustre l’aveuglement politique, l’absence totale de recul d’un homme comme vous et moi. Malgré sa volonté de suivre l’actualité, de s’y intéresser, d’essayer de comprendre les enjeux politiques des événements qui se déroulent autour de lui, il reste englué dans son quotidien. Ses peines de cœur l’accaparent bien plus que l’avenir de sa nation. Ses velléités d’objectivité se heurtent à des dégoûts et des affections non maîtrisés.

Le roman est l’illustration exemplaire de l’anti-histoire : pas de point de vue distancié mais une synthèse personnelle, subjective, partielle. Une manière de percevoir la politique par le petit bout de la lorgnette. Une démonstration magistrale de nos lâchetés, de nos nombreuses incompréhensions, de notre chauvinisme indéfectible.

Mais pourquoi la Russie ? Pourquoi Poutine ? N’importe quel pays troublé par l’actualité aurait pu servir de cadre à cette démonstration. Sans doute parce que l’auteur a un contentieux personnel à régler : son père, Jacques Chambaz, fut en son temps député communiste puis membre du Comité central du Parti.Sans doute aussi parce que Poutine est l’un des hommes les plus remarquables et les plus inquiétants du moment, au point d’avoir pu être comparé à Hitler dans certains portraits satiriques.

Bernard Chambaz, comme son personnage, semble tiraillé. Il ressent de la fascination pour ce peuple qui a vu naître des génies comme Dostoïevski, Maïakovski ou Gogol ; qui a voulu croire aux grands idéaux du grand soir, au juste partage des richesses, à l’égalité des hommes ; qui a réussi, un temps, à être une nation exceptionnelle. Et il ne peut passer outre un sentiment de répulsion pour les crimes de l’URSS de Lénine et Staline, pour ceux de la Russie post-communiste.

Un petit trésor d’intelligence qui n’assène aucune vérité mais ouvre grand les portes à nos réflexions.