Quand sort la recluse, Fred Vargas

Où l’on retrouve le flegmatique commissaire Adamsberg, perdu et errant dans ses brumes, qui s’engage dans une enquête incertaine alors que souffle un vent de rébellion au commissariat du 13ème arrondissement de Paris. Saveur des mots, chemins détournés, héros meurtris, intrigue en poupées russes, le nouveau Fred Vargas comble les attentes de ses lecteurs.

Ouvrir le nouveau Fred Vargas, c’est retrouver un univers familier qui happe le lecteur et ne le lâche plus jusqu’à la dernière page, quand « toutes les piqûres, morsures, blessures [auront] été grattées, jusqu’au sang. » C’est retrouver des personnages atypiques, qui restent avant tout pleinement humains. C’est retrouver une conception singulière de l’intrigue de roman policier. L’auteure préfère d’ailleurs le néologisme « rompol » pour parler de ses romans qui se démarquent du genre. Sa formation d’archéologue infléchit sa construction du récit : les enquêtes procèdent de la fouille, chaque indice mis à jour fait partie d’un puzzle à reconstruire avec patience. Chez Vargas, pas de scène de crime sanguinolente, pas de courses poursuites effrénées arme au poing, mais des enquêtes incertaines, qui se résolvent grâce aux aptitudes quelque peu extraordinaires de chacun des personnages : mémoire photographique, savoir encyclopédique, intuitions fines, génie de l’informatique, pour n’en citer que quelques-unes.

Lorsque s’ouvre le roman, le flegmatique commissaire Adamsberg a trouvé refuge dans les brumes islandaises. Il est rapidement contraint d’abandonner cet exil plus tôt qu’il ne le souhaiterait et de rentrer à Paris. Comme souvent dans les romans de Vargas, l’affaire qui le rappelle ainsi à la réalité, résolue dès les premiers chapitres, n’est que prétexte à introduire l’enquête principale qui oppose notre commissaire à son second le plus fidèle, Danglard. En effet, l’orage gronde au commissariat du 13ème arrondissement, la dissension autour d’Adamsberg, déjà amorcée dans le volume précédent, Temps glaciaires, reprend de plus belle. Privé de son bras droit, Adamsberg commence une enquête non-officielle, née d’une intuition, d’une piqûre d’araignée qui le démange et qu’il doit « gratter jusqu’au bout ». Strate après strate, le commissaire fouille et tâtonne. Il suit les méandres de son esprit qui le conduisent d’impasses en indices infimes, fils qu’il lui faudra lentement tirer pour déconstruire la toile de la recluse et retrouver la cohésion et la confiance dans son équipe.

A nouveau, Vargas surprend par son sujet – richement documenté – qui naît de la polysémie du mot « recluse ». Le lecteur se régale de retrouver cette exigence sémantique, cet amour de la langue française propre à l’auteur – et peu courant dans les romans policiers. De la recluse espèce arachnide aux recluses du Moyen âge, entre légende et réalité, Fred Vargas construit une intrigue dans laquelle s’empêtre d’abord Adamsberg avant d’en sortir, un peu secoué, mais à nouveau épaulé par son équipe au complet. L’auteure continue dans ce nouvel opus à explorer les peurs archaïques : après celle du loup dans L’Homme à l’envers ou encore celle des revenants dans L’armée furieuse, elle convoque celle de l’araignée. Les liens ténus entre l’extraordinaire et le réel sont au cœur de chacune de ses intrigues, et c’est au charme de cette frontière poreuse que se laisse à nouveau prendre le lecteur : « Il y a tant d’improbable et d’irréel dans l’affaire de notre recluse qu’elle touche au conte de fées ».

Un vrai roman policier qui n’est que plaisir de la lecture, plaisir d’une écriture sinueuse et intelligente et d’un romanesque riche en détours et rebondissements. Une lecture qui se savoure comme une friandise.

Quand sort la recluse, Fred Vargas, Flammarion, 2017, 478 pages.