Romans solaires (1)

En ce début de Juillet, LHP vous propose sa réinterprétation des « romans de l’été » chers à la presse : voici donc une sélection de romans « solaires », romans ni légers ni lumineux, mais dans lesquels le soleil envahit tout l’espace et façonne les destins. A déguster avec l’excellente play-list de FIP « le soleil, c’est magnifip ».

Si l’on parle de roman solaire le premier titre qui s’impose est, bien sûr, L’Etranger, ce livre dont le soleil est le héros. Sur la route du cimetière, sur la plage vibrante au zénith ou dans la touffeur du tribunal, il est toujours là, omniprésent, éblouissant, écrasant puisque « Il n’y a pas d’issue. » Sensuel et mutique, Meursault, le protagoniste, est poussé par lui au pire. Ce n’est que dans les rares moments heureux de baignades qu’il devient synonyme de plaisir. On ne lui échappe qu’au crépuscule dans ce pays où le soir  est « comme une trêve mélancolique. » Et ce n’est que dans l’obscurité de sa cellule que le personnage comprend, revoit et assume ses actes.

A lire au choix comme un roman policier, une tragédie ou un plaidoyer contre la peine de mort.

L’Etranger, Albert Camus, Folio, 183 pages.

M.S

Sicile. Mai 1860. Les troupes de Garibaldi débarquent sur la côte de Marsala. C’est la fin d’un monde, celui de l’aristocratie décadente, celui du prince Salina, le Guépard, et l’émergence de l’unité italienne autour du royaume de Piémont et de la bourgeoisie montante. Orgueilleux et indolents, les Siciliens préfèrent l’immobilité au changement. Dans ce pays aride et somptueux, la campagne « noire de barbes d’épis brûlés » vibre de la plainte des cigales « comme le râle de la Sicile calcinée ». L’été est une « malédiction annuelle » dans l’attente de la pluie bienfaisante : « Jamais un arbre, jamais une goutte d’eau : soleil et nuages de poussière. »

C’est l’histoire d’un pays, c’est l’histoire d’un amour, celui d’Angélique et de Tancrède dans l’insolente beauté de leur jeunesse, c’est l’histoire d’un déclin, celui d’un homme et d’un monde.

Un roman solaire et crépusculaire.

Le Guépard, Giuseppe Tomasi di Lampedusa (traduit par Jean-Paul Manganaro), Points, 357 pages.

M.S

Dans un village de Castille, un crime passionnel a eu lieu : Rodrigo Paestra a tué sa jeune femme et son amant. La police est à sa recherche. A l’hôtel, les touristes, bloqués par de violents orages, passent la nuit dans les couloirs, écrasés par « la chaleur mortelle de la campagne », avant de reprendre la route pour Madrid. Parmi eux, Pierre et Maria, Judith, leur enfant, et Claire. Ils traversent « l’air brûlant sur les blés moissonnés » ; ils cherchent « la fraîcheur des demeures anciennes » ; ils boivent de la manzanilla, du café et du vin. Une nuit et un jour, deux histoires en parallèle, un homme entre deux femmes. L’amour, la mort, l’alcool, le désir. C’est l’été. C’est l’Espagne. C’est Duras.

Dix heures et demie du soir en été, Marguerite Duras, Folio, 150 pages.

M.S

Les  « p’tits cons » de la Corniche. Les voici qui s’étalent, envahissent tout l’espace, présence arachnéenne qui revient chaque été, quand l’école s’efface progressivement. Ils s’exhibent sur la plate-forme, vaste amalgame de pierres concassées au bulldozer. Là, ils font ce qu’ils ont à faire : « gesticuler sur les pierres, draguer les filles, s’approprier le ciel » .

Dans ce superbe roman, Maylis de Kerangal capte l’éclat singulier de la jeunesse, en traduit les vibrations et les brûlures. Elle saisit la beauté et l’énergie de ces corps qui disent l’urgence de sortir d’un monde étroit pour que tout commence enfin.

Corniche Kennedy, Maylis de Kerangal, Folio, 192 pages.

M.G

Cet été-là, insouciants et sensuels, Oreste, Pieretto et le narrateur passent leur temps entre bains de soleil, flâneries sur le Pô et promenades nocturnes autour de Turin. Une nuit c’est la rencontre avec Poli, dont la vie passionnelle et l’esprit de liberté grisent et inquiètent tous ceux qui l’approchent. Loin de la ville, les vacances se partagent alors entre la maison familiale d’Oreste, où l’on vit simplement, de la terre travaillée et bonifiée, et celle de Poli, où tout appelle à une bienheureuse et fatale oisiveté. Là, dans une entêtante odeur « de coït et de mort », la campagne brûle et les sens montent à la tête. Infini paradoxe de l’été chez Cesare Pavese, saison des corps exaltés et du lourd désespoir.

Le diable sur les collines, Cesare Pavese, Le livre de poche, 448 pages.

M.F

Illustration:  Agrigente, Nicolas de Staël, huile sur toile, 1953.