Roman américain, Antoine Bello

Vlad Eisinger est journaliste au Wall Street Tribune et réalise une série d’articles autour d’un nouveau produit financier dont seule l’Amérique a le secret. Il étudie les rouages du life settlement, qui consiste à racheter les assurances-vie de particuliers en comptant sur leur décès prochain pour rafler la mise. Ce procédé est l’occasion de dérives moralement suspectes. Son terrain d’enquête est la petite ville de Destin Terrace, une bourgade de Floride où se croisent les professionnels de l’assurance, du life settlement et de simples retraités. Dan Siver, le deuxième narrateur de ce Roman Américain vit seul au sein de cette petite société, qu’il observe avec distance. Loin des combines financières, lui rêve d’écrire le prochain grand roman américain. Les personnages de Destin Terrace et la littérature sont d’ailleurs les deux sujets privilégiés des mails que s’échangent régulièrement Siver et Eisinger, bons amis depuis l’université.

Le dernier roman d’Antoine Bello fait ainsi se succéder les articles de journaux, qui ouvrent chaque chapitre, les mails que s’envoient les deux compères et le récit de Dan Siver sur la vie à Destin Terrace. Son œuvre n’a volontairement rien d’un grand roman américain : on perçoit rapidement que l’enjeu pour Bello est de dépeindre, à  travers le microcosme de Floride, l’individualisme et le manque d’aspirations d’une partie de la société américaine, tout affairée à courir après les dollars et à monétiser sa propre mort. La double narration, elle, permet de prendre la mesure de cette « american way of life », alternant la description macroéconomique du life settlement et l’observation de terrain que constitue le journal de Dan Siver. Mais en dépit de sa construction élaborée, a priori séduisante, le roman est une vraie déception.

Roman Amércain souffre de deux défauts majeurs. Premièrement, son intérêt repose presque exclusivement sur les procédés narratifs : multiplier les genres littéraires (articles wikipedia, coupures de presse, mails, extraits d’un roman hypothétique, etc.) ne suffit pas à maintenir l’attention du lecteur qui devient vite flottante, voire discontinue. La société de Destin Terrace, alors même qu’elle recèle des personnages hauts en couleurs, est décrite du point de vue de Siver, un narrateur indigent et dont le point de vue n’est jamais saisissant : sa neutralité, sa mesure dans la relation de ce qu’il voit lui retire tout pouvoir d’évocation et nous laisse à distance de ce petit monde. Quant à ses dilemmes d’écrivain et ses petites falsifications sur l’article Wikipedia d’Hermann Broch, ils sont anecdotiques et ne prêtent même plus à sourire après deux chapitres.

En outre, se saisir d’un sujet aussi rebattu dernièrement que les conséquences folles d’un système financier dérégulé nécessitait une originalité adossée à un véritable propos. Avec justesse, Bello déleste de ses oripeaux romanesques une vision de l’Amérique en réalité matérialiste et cupide, mais il se prive du même coup du souffle nécessaire à la vie d’un grand roman, comme ceux que savent encore écrire certains auteurs américains… Quant au petit mystère narratif qui court tout au long du roman, dont nous ne livrerons pas la clef, il est à l’image de toute l’œuvre, une astuce habile, mais dépourvue de portée profonde.

Antoine Bello, Roman américain, Collection Blanche, Gallimard, 2014, 288 pages.