Promised Land, Gus Van Sant

Avec Promised land, Gus Van Sant aborde le sujet actuel et épineux de l’extraction du gaz de schiste, sujet qui, au cœur d’un questionnement sur la dépendance énergétique, suscite des prises de position souvent violentes et manichéennes. Aux Etats-Unis, le débat est au cœur du mandat Obama. Le réalisateur de Will Hunting et d’Elephant ne se lance pas, on s’en doute, dans un documentaire sur la question ; entre ses mains, le débat écologique est davantage le prétexte à une réflexion sur la démocratie à l’américaine.

Résumons. Deux employés d’une grande firme spécialisée dans l’extraction du gaz de schiste, Global, parcourent des campagnes américaines sélectionnées pour de potentiels gisements, afin de convaincre les habitants de laisser l’entreprise exploiter leurs terrains. Le duo de commerciaux est  bien rodé : Steve Butler, chef d’équipe en pleine ascension professionnelle, est accompagné de Sue, une battante à l’esprit délicieusement caustique. Pourtant, lorsqu’ils se rejoignent pour leur énième mission dans une petite bourgade de campagne, rien ne se passe comme prévu. Deux figures grippent le système : un professeur du coin, ancien ingénieur, qui alerte la population ignorant les risques de l’extraction du gaz par fracturation hydraulique, et un écologiste « parachuté », qui dénonce à coups d’images chocs les méfaits d’une telle exploitation. Cette mission retorse, durant laquelle les ratés s’enchaînent jusqu’au comique, est finalement l’occasion d’une prise de conscience chez le personnage principal.

On s’attend à retrouver l’habituelle distribution des débats, plaçant d’un côté industriels et exploitants cupides, de l’autre écologistes radicaux. Or, le réalisateur s’attèle à introduire un peu d’ambivalence au pays des opinions tranchées et des caricatures faciles. Le premier parti-pris de Gus Van Sant consiste à faire en sorte que le spectateur s’identifie à Steve Butler, le présumé coupable, représentant d’une firme qui s’enrichit en exploitant le gaz de schiste. Nous sommes de son côté dès la première scène du film : Steve s’asperge le visage d’eau dans les toilettes d’un restaurant, visiblement stressé par un rendez-vous professionnel. Alors que son employeur lui demande la clé de sa réussite, il explique avec sincérité être comme les gens qu’il démarche car il a grandi dans le même genre de petite ville. Sans arrogance ou mépris apparent, Steve est par bien des aspects le prototype du bon gars, simple et souriant. Il répète d’ailleurs à la jeune institutrice qu’il veut séduire : « I’m not a bad guy ». Assez vite, on comprend que son engagement chez Global est lié à sa jeunesse dans une région sinistrée : l’exploitation du gaz de schiste est à ses yeux la seule façon pour ces provinces de ne pas mourir à petit feu. Ainsi se forge notre sympathie à l’égard du personnage, sympathie d’autant plus troublante qu’on ne s’attendait pas à l’éprouver. L’ambivalence de Steve s’accroît au fil des révélations sur ses pratiques de vente – corruption, mensonges, intimidation – qui correspondent plus à notre représentation type du V.R.P. peu scrupuleux, mais constituent, dans la logique du personnage, les petits moyens au service d’un noble projet. De la même façon, la figure de l’écologiste n’est pas très enthousiasmante : Dustin Noble travaille seul, utilise les mêmes stratégies d’intégration que ceux qu’il combat, tombe facilement dans les excès et le spectaculaire (on pense notamment à sa démonstration devant des bambins apeurés sur les méfaits du gaz). On apprendra finalement qu’il n’est qu’une création de toutes pièces de Global.

Gus Van Sant nous fait ainsi circuler d’une figure à l’autre du débat pour comprendre chaque position et critiquer ses dérives. Premier point d’une réflexion sur une démocratie plus saine et plus constructive. L’autre point phare de cette réflexion réside dans la mise en lumière de l’extrême pauvreté du débat démocratique. A l’image d’un jeu politique médiatique à plus grande échelle, tenants et opposants du projet d’exploitation ne se situent que dans des activités de communication publicitaire et de lobbying, n’envisageant pas un instant d’argumenter sur le fond du problème de façon rationnelle et éclairée. Quand Steve ne met en avant que le fantasme de l’enrichissement facile et rapide tout en jouant sur l’angoisse de la ruine familiale, l’écologiste Noble s’abstient de susciter une réflexion pour provoquer une terreur tout aussi irrationnelle, celle d’une terre ancestrale subitement et radicalement dévastée. Tout est fait de séductions et de peurs là où il ne faudrait que raison et hauteur de vue. Seul le vieux professeur, figure d’une démocratie retrouvée, remplit le rôle d’ « expert » en apportant des données concrètes et des explications scientifiques. Il intervient lors d’une réunion publique censée avaliser l’installation de Global dans la ville pour réclamer un délai de deux semaines, temps de réflexion essentiel et salutaire. Dès lors, Promised land devient l’expérience d’une reprise de pouvoir par le peuple.

Le revirement final de Steve, après que Noble s’est révélé être un imposteur, valide la remise en marche du jeu démocratique. Loin d’offrir une nouvelle opinion tranchée, convenue – hollywoodienne pourrait-on dire – qui condamnerait désormais le gaz de schiste, Butler introduit simplement une nuance, indispensable à l’honnêteté d’une conviction soutenue dans le cadre d’un débat démocratique. Il stipule désormais que ce choix énergétique contient un risque écologique, faible selon lui, mais bien réel. Le film peut alors prendre fin : Van Sant ne nous livre pas le résultat du vote puisque là n’était pas l’intérêt. Si le cinéaste milite, c’est moins contre le gaz de schiste qu’en faveur d’une véritable démocratie.

Le point de vue adopté par le réalisateur, la façon dont il s’empare du sujet pour mener une réflexion sur le jeu démocratique sont de vraies réussites. Toutefois, il faut bien le dire, quelques bémols modèrent notre enthousiasme. Certains aspects du scénario semblent par exemple trop prévisibles et grossiers. Dès la première apparition du personnage de l’institutrice, nous comprenons qu’elle deviendra la compagne de Steve au terme d’un cheminement qui fait se rejoindre, dans un happy end plein de bons sentiments, bonheur personnel et éthique de vie : face à la nature, le couple s’unit dans la joie du « prendre soin » des choses. Plus gênante encore est peut-être la façon dont Gus Van Sant représente son personnage, repenti, face au public réuni pour le vote final : Steve, les larmes aux yeux, reconnait avoir été manipulé par son entreprise sous le regard ému et compatissant de l’assemblée. Là encore, le réalisateur nous place de son côté, et glorifie sa prise de conscience dans un beau tableau pathétique. L’adhésion est pourtant moins facile car la conversion de Steve a ses limites : il reste un homme mû par ses émotions, réagissant et évoluant parce qu’il a été trahi, et non par l’exigence d’une connaissance rationnelle et scientifique sur le sujet.

 

Date de sortie : 17 avril 2013

Réalisé par : Gus Van Sant

Avec : Matt Damon, Rosemarie DeWitt

Durée : 1h46

Pays de production : Etats-Unis