Mud, Jeff Nichols

Le troisième film de Jeff Nichols, après Shotgun Stories et Take Shelter, témoigne à nouveau du talent du jeune réalisateur. Il se traverse comme un beau roman d’aventures, dont on ne cesse de découvrir la profondeur et dont on se rappelle les personnages avec émotion, notamment grâce aux interprétations de Tye Sheridan et Matthew McConaughey.

Ellis et Neckbone, à l’instar de Tom Sawyer ou Huckleberry Finn, vivent sur les bords du Mississipi. Pas d’école, peu de scènes en ville : les deux adolescents apprennent la vie en pleine nature, dorés par la lumière du fleuve. L’aventure commence par un rêve d’enfants. Les garçons partent à la découverte d’une île dont le trésor serait un bateau échoué au sommet d’un arbre. Mais la cabane est déjà occupée par un mystérieux Robinson, qui dit attendre sa bien-aimée et demande l’aide des garçons pour se ravitailler. Neckbone veut partir, ne voyant en lui qu’un « clochard » ; Ellis, lui, s’attache. Ainsi leurs vies se mêlent-elles à celle de l’étranger au nom énigmatique : Mud.

La rencontre survient à un moment critique pour Ellis  puisque ses parents sont sur le point de se séparer, avec pour conséquence la destruction de la maison familiale au bord du fleuve. Le père confesse son échec à « prendre les choses en main » et incite son fils à se méfier du sentiment amoureux. C’est l’effondrement d’un monde : l’amour n’est pas éternel, le père n’est pas un héros, et il faut supporter la douleur de perdre pour toujours ce qui nous est cher. Dans ce paysage crépusculaire, Mud surgit comme une promesse inouïe : on peut devenir adulte et conserver intactes les croyances de l’enfance.  Parce que l’étranger est le seul à ne pas avoir « baissé les bras » dans sa passion pour une certaine Juniper, Ellis se montre prêt à tout pour l’aider et favoriser les retrouvailles des amants.

Pourtant, au fil de leurs allers-retours sur le fleuve entre leur petite ville et l’île – comme entre le réel et l’imaginaire -, les deux adolescents découvrent la véritable identité de Mud (la boue en anglais) : l’amoureux transi est en fait un fuyard recherché par la police car il a tué le dernier amant de Juniper. Le portrait du « héros » se trouble. La dulcinée en question semble bien lassée et Tom, voisin d’Ellis qui s’est occupé de Mud lorsqu’il était enfant, ne veut plus en entendre parler. Aux côtés de ce père idéal qu’il s’était choisi, peut-être en même temps que lui, Ellis fait l’apprentissage de la boue, cette vie mêlée, impure que nous nous efforçons de vivre. Tous deux s’accompagnent dans cette mue intérieure et se laissent à l’orée d’un monde nouveau : les derniers plans du film, beaux et joyeux, montrent d’un côté Ellis emménageant en ville, souriant à son nouvel environnement, de l’autre Mud et Tom éblouis face à ce que l’on devine être l’embouchure du Mississipi.

Cette dimension initiatique, qui touche particulièrement le duo d’Ellis et Mud mais atteint par ricochet les autres personnages masculins, s’inscrit systématiquement dans un rapport de paternité. Le film de Jeff Nichols peut de fait être analysé comme une variation sur la relation père/fils, réelle ou symbolique – Mud et Tom, Mud et Ellis, Ellis et son père, Neck et son oncle. Les femmes n’ont finalement que peu d’incidence sur l’évolution des hommes, comme si le réalisateur saisissait ses personnages à un moment où pères et fils se recréent, se régénèrent les uns les autres. Si l’on considère par ailleurs que l’amour père/fils est présenté dans le film comme le seul amour inconditionnel – malgré les déceptions et l’âpreté du lien parfois -, on se souviendra aussi de Mud comme d’une magnifique ode à la paternité.

 

Date de sortie : 1er mai 2013

Réalisé par : Jeff Nichols

Avec : Matthew McConaughey, Tye Sheridan, Jacob Lofland

Durée : 2h10

Pays de production : Etats-Unis