Les Bêtes du sud sauvage, Benh Zeitlin

Dans le bayou où vivent Hushpuppy et son père, tout est poisseux, humide, sale et joyeusement délabré. Là, au milieu d’une petite communauté de marginaux, qui refusent le monde moderne, coupé du rapport direct à la nature, l’homme est comme l’animal : Hushpuppy joue, dort, mange avec les bêtes qui l’entourent et composent son jardin quotidien. Bientôt, la petite, en colère contre son père, le frappe en plein cœur et s’imagine que cette agression déclenche ce que l’on soupçonne être l’ouragan Katrina. Quoiqu’il en soit, la fillette, son père et quelques irréductibles de la communauté se réveillent au milieu des ruines de leur bidonville, submergé par les eaux… Ce grand changement est le point de départ de nouvelles aventures pour la petite : accompagner son père jusqu’à la mort, apprendre la survie, retrouver sa mère, mystérieusement disparue.

Les Bêtes du Sud Sauvage a l’allure d’un conte initiatique. Benh Zeitlin s’empare de cette forme pour habilement estomper les limites entre le réel et l’imaginaire. C’est la grande force du film, de mêler un réalisme forcené avec les rêves et les peurs de la petite, figurées par de monstrueux et gigantesques aurochs, qui tout au long du film, se rapprochent dangereusement de la communauté. Mais la vie réelle est elle-même plus étrange encore lorsqu’on y a pour guide un père comme celui d’Hushpppy. Il maugréé, dévore, rit, danse, injurie, se bat contre la tempête à coups de fusil. Dwight Henry est fascinant dans ce rôle et charrie avec lui l’énergie et le dynamisme qui irradient en permanence le film.

Zeitlin épouse cette vie perpétuellement mouvante avec sa caméra, toujours à l’épaule, instable et flottante à l’instar des eaux que parcourt la petite famille. Ce que l’on prend au départ pour un tic un peu vain de jeune réalisateur (dont c’est le premier film), s’avère un choix de mise en scène déterminant. Le monde bouge sans cesse : les maisons s’effondrent, le paysage grouille d’animaux et des bruits obsédants du bayou. Survivre, pour la petite, c’est bien apprivoiser cette instabilité permanente et plonger dans la crudité du réel : dans le bassin, le « bathtub », on déchiquète à mains nues le crabe et l’on cuit à peine les aliments.

L’autre rive, la ville, est un monde mortifère. Wink, le père de la petite, est transporté dans un hôpital provisoire qui lui pompe un peu plus son énergie vitale. Le décor, blanc, clinique, hygiéniste, contraste singulièrement avec la vie frétillante et bigarrée qui anime le « Bathtub ». Dans un renversement final, c’est sa fille qui permettra à son père de se sauver de là et de rejoindre sa terre pour une ultime scène d’adieux, émouvante aux larmes, où se révèle pudiquement la tendresse qui relie ces deux êtres.

Mais au-delà de l’histoire familiale, le cœur du film se situe dans le lien entre ces marginaux et ce bout de terre humide. Zeitlin n’adopte jamais un regard new-age ou écologiste sur cette nature qu’il met en scène, en quelque sorte, sans complaisance : elle est résolument sale, grouillante et inconfortable. En la filmant ainsi, crûment et au plus près, il finit pourtant par tramer les liens quasi cosmique qui unissent les êtres entre eux. On pense au cinéma de Terrence Mallick, dont c’est l’un des thèmes de prédilection. Mais là où Mallick filme le ciel, le cosmos, Zeitlin s’enfonce avec sa caméra dans la fange, la boue, la chair sale et le cœur des bêtes sauvages.

 

Date de sortie : 12 décembre 2012

Réalisé par : Benh Zeitlin

Avec : Quvenzhané Wallis, Dwight Henry

Durée : 1h32

Pays de production : Etats-Unis