Juste la fin du monde, Xavier Dolan

Xavier Dolan s’empare pour son dernier film d’un texte théâtral, Juste la fin du monde, écrit par Jean-Luc Lagarce en 1990. Il ne filme pas du théâtre mais propose une adaptation, une réécriture cinématographique de la pièce. L’intérêt du cinéaste pour ce dramaturge décédé du sida en 1995 ne surprend pas et pouvait sembler prometteur ; les deux auteurs partagent une même fascination pour les nœuds familiaux, mettant en jeu, œuvre après œuvre, les relations d’amour, de dépendance et d’enfermement au sein de la famille. Mais la rencontre ne tient pas ses promesses ; loin de permettre à Dolan de sublimer son jeune talent, elle l’accule au pire et métamorphose l’or en boue.

Il faut dire que Mommy, le précédent long-métrage du réalisateur québécois, l’avait, à nos yeux, hissé à des sommets. Nous entendions bien les réserves de certains relatives au caractère très démonstratif de son écriture, à l’hystérisation des situations, à certaines facilités mais nous les contestions farouchement. Nous aimions et défendions la force de son cinéma, son impudeur, sa fougue. Mais après ce dernier film, on ne sait plus. Tout parait recette, cliché et surjeu.

Premiers plans du film : Louis rentre voir sa famille après douze années d’absence pour annoncer sa mort prochaine. Avion, taxi. Tandis que la caméra suit la progression de la voiture sur la route, Dolan annonce la couleur en bande son : « home is not a harbour, home is where it hurts » chante Camille. Ce ne sera pas le seul tube lancé à force décibels et ce n’est pas la première fois que Dolan recourt à la musique pour relever l’intensité d’une situation. Il n’est pas question de faire systématiquement la moue lorsqu’un réalisateur utilise la dimension rythmique ou émotionnelle de la musique. Mais lorsqu’on appuie trop sur la corde, elle finit par grincer.

Puis, à peine la porte de la maison franchie, c’est le gueuloir. Les acteurs s’emportent, s’agitent. Comme d’habitude chez Dolan, disent les moins convaincus. Mais là, c’est comme si cette emphase dans la direction d’acteur était plaquée, personne ne trouvant vraiment sa voix : Nathalie Baye, en mère débordante et écorchée, fait du Anne Dorval, Vincent Cassel, le frère blessé, éructe à la Bacri. Marion Cotillard semble quant à elle surjouer les hésitations de la langue de Lagarce, s’embourbant dans les mots comme un oiseau tombé de son nid. Heureusement, cette impression de désaccord n’est pas permanente. Lors de la confrontation Cassel/Ulliel dans la voiture, au moment du dialogue mère/fils dans la remise, ou pendant la scène finale, acteurs et réalisateur trouvent la note juste, font enfin résonner la langue de Lagarce et partager l’émotion.

Sur le plan de la mise en scène, de la spatialisation, le cinéma ouvre des possibilités que Dolan exploite de façon intéressante, il faut le reconnaître. Tout se joue en huis clos, mais les personnages évoluent d’une pièce à l’autre de la maison au gré des rencontres et des confrontations. L’absence prolongée de Louis est matérialisée dans le film par une chambre morte, où sont stockés les meubles et les souvenirs. Ce choix est intéressant dans la mesure où il représente bien l’impossibilité pour Louis de retrouver une place au sein de sa famille, ou plutôt d’en inventer une autre. Quelque chose de lui a été remisé, figé, pour permettre à la famille de continuer à fonctionner. Pourtant, les scènes tournées dans cette pièce sont parmi les plus décevantes du film. Gaspard Ulliel passe le doigt sur son vieux matelas et en retire une couche de poussière ; Gaspard Ulliel se souvient des premiers ébats amoureux au fil de rapides flash-backs érotiques… Tout cela est malheureusement aussi usé que les affaires renfermées dans cette chambre.

De manière plus générale, l’écueil semble résider dans le choix de la caméra subjective. Dolan adopte le point de vue de Louis là où la pièce donnait à entendre une difficulté collective à sortir des pièges de la famille et du langage. Dès les premières images, la caméra est braquée sur Gaspard Ulliel. Que ressent-il ? Comment reçoit-il les paroles de ceux qu’il retrouve ? Quand va-t-il parler ? Le gros plan, procédé prédominant du film, cherche interminablement à percer le silence du personnage. Mais l’acteur a beau être tout à fait photogénique, le spectateur ne peut que se lasser. Cette même caméra subjective conduit Dolan à des ajouts vraiment peu convaincants. Quel est l’intérêt d’insérer une scène où l’on voit Louis au téléphone, manifestement en conversation avec son petit ami, exprimer sa peur d’annoncer la nouvelle ? Trop explicatif, trop explicite.

Les défauts du film semblent tels qu’on se demande souvent comment Dolan, celui qu’on admirait comme la famille fantasme ce fils prodigue, n’a pas pu se rendre compte de la médiocrité de tel ou tel procédé. Chacun a droit à ses erreurs de parcours, à ses dérives. On souhaite seulement que le jeune cinéaste puisse s’arracher des pièges du monde du cinéma et échapper aux identités figées.

Date de sortie 21 septembre 2016 (1h 35min)

De Xavier Dolan

Avec Gaspard Ulliel, Nathalie Baye, Léa Seydoux

Genre: Drame

Nationalités: Canadien, Français