Django Unchained, Quentin Tarantino

Y avait-il encore quelque chose à attendre d’un film de Tarantino en 2013 ? Après Inglorious Basterds, parodie médiocre et longuette des films de guerre, après le diptyque Kill Bill, à l’imagerie léchée mais au propos sans intérêt, pouvait-on encore espérer de ce goinfre insatiable de séries B autre chose qu’une énième caricature et qu’un hommage décalé au western ?

On se rend donc à reculons à ce Django Unchained et on en ressort avec le sentiment que Tarantino a enfin réalisé son premier film personnel, sans perdre pour autant sa capacité à jouer avec les codes des genres. Son habileté scénaristique, son art de filmer sont enfin au service d’un vrai propos, d’une vraie pensée sur le sujet central du film, l’esclavage. Django, noir asservi, est affranchi par King Schultz, un chasseur de primes humaniste, interprété par le toujours surprenant Christopher Waltz. A eux deux, ils entreprennent de racheter Brumhilda, la femme de Django, possédée par Calvin Candie (L. di Caprio). Pour ce faire, ils se font passer pour deux esclavagistes, Django tenant le rôle du bras droit, du conseiller.

Avec Tarantino, on n’y coupe pas, on a droit comme à l’accoutumée aux scènes dialoguées tortueuses, aux combats sanguinolents, aux pastiches cinématographiques appuyés, à l’instar de ces zooms rapides sur un personnage, typiques des westerns spaghettis des 70s. Et, comme d’habitude, on prend plaisir à repérer les références, les citations cinématographiques que sème le réalisateur… A la différence près qu’ici cette mécanique bien huilée ne tourne pas à vide. Django, déchainé, ivre de vengeance, est un personnage vraiment héroïque, admirable dans son combat : on s’identifie, on l’aime, on le prend en pitié.

Là où Tarantino fait fort, c’est que son protagoniste est animé d’une profonde ambiguité. Django ne lutte pas en premier lieu pour la libération de ses frères noirs asservis. Il n’a pour seul objectif que de retrouver son amour, Brumhilda, quitte à laisser mourir un autre esclave afin de ne pas se faire démasquer. Le vrai libérateur, c’est en réalité Schultz, issu pourtant du monde des oppresseurs. Paradoxalement, le blanc est au fond davantage indigné par la condition des esclaves que l’ancien esclave lui-même. Et que dire de cette étrange scène où Django, après avoir perpétré le massacre final à la propriété de Candie, se pavane à cheval en habits de maître et fait la cour à sa belle ? Que dire encore du vieux Stephen (Samuel L. Jackson), « negro » vicieux, résolument du côté de son patron, dont il servait déjà le père ? Les anciens esclaves finissent-ils comme leurs maîtres lorsqu’ils en ont la possibilité ? Les noirs asservis n’aspirent-ils qu’à la condition des blancs, jusqu’à imiter aussi leur soif de pouvoir et de domination ?

Au fond, de façon bien plus pertinente que dans Inglorious Basterds, Tarantino questionne les rapports de domination, le problème de la collaboration et les motifs de l’héroïsme sans perdre un instant de vue son souci du cinéma de divertissement. Le décor de Django, ces grands espaces américains, sont magnifiquement mis en valeur par la bande-son : celle-ci répond aux clichés des musiques de western, mais n’en suscite pas moins le désir d’une Amérique de voyages, de plaines infinies et de liberté solitaire.

Dans Django Unchained, l’ironie de Tarantino n’empêche pas le regard simplement ému, la vision au premier degré d’un film qui marque sans aucun doute une avancée majeure dans la carrière du réalisateur. Son nouvel opus est un vrai bel hommage au genre du western, parce qu’il en fait le réceptacle d’un discours, certes équivoque, mais passionnant, sur l’asservissement et l’émancipation.

 

Date de sortie : 16 janvier 2013

Réalisé par : Quentin Tarantino

Avec : Jamie Foxx, Christoph Waltz, Leonardo DiCaprio

Durée : 2h44

Pays de production : Etats-Unis