Mon Nouveau Testament, Simone

C’est un petit livre étrange, découvert par hasard. Petit par son format et son nombre de pages. Etrange par son titre et le nom de son auteure. Après quelques recherches, on apprend vite que « Simone » est en fait le pseudonyme de Pauline Benda, actrice et femme de lettres du siècle passé. A quatre-vingt-treize ans, elle écrit ce dernier livre, Mon Nouveau Testament, confession autobiographique sur son parcours de vie et ses croyances.  Issue de la bourgeoisie juive parisienne, Pauline Benda est marquée très jeune par la mort de son père. Sa foi est ensuite ébranlée sous l’influence de son frère aîné, étudiant en philosophie. Elle entreprend des études à la Sorbonne, suit les cours de psychologie expérimentale de Théodule Ribot au Collège de France et les expériences de ce dernier sur les malades à la Salpêtrière et à Sainte-Anne. Au grand dam de sa mère, qui exige que sa fille mette fin à ses visites à l’hôpital  et suive des cours de diction… si bien qu’elle devient actrice et épouse son professeur de diction. Mais le grand amour de sa vie est Alain-Fournier, l’auteur du Grand Meaulnes de dix ans son cadet avec lequel elle vit à partir de 1913 une brève liaison passionnée (1); le jeune officier meurt prématurément en septembre 1914. Revenant sur les événements qui ont marqué sa vie, elle raconte dans son ultime ouvrage comment la mort brutale des deux hommes qu’elle a le plus aimés et l’importance  de la science et de la raison l’ont éloignée de la religion. Même si ne plus croire en un au-delà veut dire se résigner à ne jamais retrouver les êtres chers disparus, elle refuse les fausses consolations : « Je ne me rappelle pas être jamais retournée au pays où tout est possible,...

Kaputt, Malaparte

Témoin privilégié, spectateur désabusé, Curzio Malaparte raconte dans un roman terrible et magnifique ce qu’il a vu entre 1941 et 1943 sur le front de l’Est. Paru en 1944, controversé et trop oublié, Kaputt est le premier roman sur la seconde guerre mondiale et l’un des plus grands, « un livre horriblement cruel et gai » selon son auteur.  L’histoire du manuscrit est à elle seule un roman : commencé en Roumanie, caché par un paysan, confié à un diplomate espagnol. Objet de polémique dès sa réception, le livre souffre sans doute de la réputation de son auteur mégalomane, brièvement partisan de Mussolini avant de critiquer le régime. Le titre Kaputt donne le ton « Aucun mot (…) ne saurait mieux indiquer ce que nous sommes, ce qu’est l’Europe, dorénavant : un amoncellement de débris. » Les titres de chaque  partie « Les chevaux, Les rats, Les chiens, Les rennes » disent la déshumanisation, la barbarie à l’oeuvre. Partout, le froid, la faim, la mort et surtout le cynisme, la bonne conscience des bourreaux, l’entreprise rationnelle d’extermination.  Dans ce roman qui raconte l’horreur et la cruauté de la guerre, il y a cependant encore place pour la beauté des choses. Admirateur de Chateaubriand dont il dit s’inspirer, Malaparte tient aussi de Proust pour les descriptions somptueuses. Un chapitre s’intitule d’ailleurs « Du côté de Guermantes ». Dans une langue virtuose et souvent métaphorique, il transfigure le champ de bataille en gravure de Dürer : «Les chars et les troupes d’assaut avançant dans les sillons tracés par les chenilles semblaient gravés au burin sur la plaque de cuivre de la plaine ». En esthète, Il évoque les notes pures et légères d’un prélude de Chopin écouté par les dignitaires nazis ou le rouge sanglant d’un vin de Bourgogne qui rappelle, dans la nuit blanche...

Le Hussard sur le toit, Giono

En Italie, l’épidémie de coronavirus a fait grimper les ventes de La Peste de Camus. D’un mal peut -il sortir un bien, un classique comme antidote en temps de crise sanitaire? Mais à Oran et aux rats, au docteur Rieux et à Tarroux, on peut préférer Angelo et la Provence de Giono.  Les deux romans paraissent aux lendemains de la seconde guerre mondiale, l’un en 1947, l’autre en 1951 et donnent du nazisme, du Mal en général la même représentation métaphorique : celle de la maladie contagieuse, de l’épidémie redoutée. Mais là où Camus illustre, à travers ces personnages prisonniers dans la ville, les différentes réactions humaines face au malheur collectif (courage, solidarité, opportunisme, égoïsme, mysticisme…), Giono nous entraine dans une folle aventure faite d’héroïsme, de joie de vivre insolente et de légèreté. Angelo Pardi, le colonel des hussards, le carbonaro piémontais en fuite qui traverse la Provence, c’est tout cela à la fois : quelqu’un qui n’hésite pas à soigner les malades, à laver les cadavres mais qui garde toujours la tête haute, l’allure, la grâce, tel « un épi d’or sur un cheval noir ». Son remède contre la contagion? Ne pas avoir peur, mépriser la maladie. Il est dans la mêlée mais il la domine puisqu’il gambade sur les toits de Manosque et il lui échappe en galopant de collines en villages. On en arrive à ce paradoxe curieux : même si Giono décrit avec précision (et invention) les symptômes de la maladie, le détail des agonies, même si l’on découvre des villages abandonnés, des régions dévastés, Le Hussard reste un livre alerte et presque joyeux, irrigué par la jeunesse et l’énergie de son héros. Et par la beauté lumineuse de Pauline de Théus. Car c’est aussi une grande histoire d’amour, même si les deux protagonistes ne se rencontrent qu’au bout de deux cents pages et que leur relation reste idéale. Jamais sordide, toujours sublime. Peut-on choisir entre la peste et le choléra? Lisez (ou relisez) Le Hussard sur le toit. Le Hussard sur le toit, Jean Giono, 1951, Folio, 512 pages. La Peste, Albert Camus, 1947, Folio, 416...