Les heures perdues » Célian Faure http://www.lesheuresperdues.fr site de critique culturelle Fri, 04 Sep 2015 13:50:50 +0000 fr-FR hourly 1 http://wordpress.org/?v=4.3 La Belle saison, Catherine Corsini http://www.lesheuresperdues.fr/la-belle-saison-catherine-corsini/ http://www.lesheuresperdues.fr/la-belle-saison-catherine-corsini/#comments Sun, 30 Aug 2015 19:34:52 +0000 http://www.lesheuresperdues.fr/?p=2198

Dans les années 70, Delphine, jeune paysanne débrouillarde à la sexualité assumée rencontre Carole, militante du Mouvement de libération des femmes, parisienne sophistiquée et charismatique. Mais la romance est brutalement interrompue : le père de Delphine a une attaque, ce qui oblige la jeune fille à retourner chez elle pour épauler sa mère. Carole la […]

The post La Belle saison, Catherine Corsini appeared first on Les heures perdues.

]]>

Dans les années 70, Delphine, jeune paysanne débrouillarde à la sexualité assumée rencontre Carole, militante du Mouvement de libération des femmes, parisienne sophistiquée et charismatique. Mais la romance est brutalement interrompue : le père de Delphine a une attaque, ce qui oblige la jeune fille à retourner chez elle pour épauler sa mère. Carole la rejoint bientôt. Cependant, transposé en milieu rural, leur amour se heurte à de lourds clivages socioculturels. Un film d’été subtil, agréable et plutôt convaincant.

Dans la vision nostalgique et fantasmée d’une époque libertaire et décomplexée, on retrouve ces couleurs légèrement voilées, ces chemises et ces barbes, ces cigarettes qu’on allume partout, ces bravades perpétuelles contre une société corsetée qui s’ouvre doucement, celle du général de Gaulle et de Pompidou. Catherine Corsini se jette volontiers dans ces images d’Epinal et se paie même le culot de filmer une bande de jeunes fuyant dans la rue au rythme du Move over de Janis Joplin. Après tout pourquoi pas : certains clichés se boivent comme du petit lait. Le Paris de Corsini, celui des luttes féministes, des amphis et des pattes d’eph’ a donc un petit goût d’exotisme mémoriel et se complaît dans le mythe de l’âge d’or. Dans un souci apparent de réalisme, la réalisatrice met en scène des réunions, meetings et débats dans lesquels on s’écharpe, on décide, on chante aussi, à tue-tête et le poing levé. Mais, pareilles à des souvenirs magnifiés, ces scènes sonnent souvent faux. L’excès manifeste d’enthousiasme – d’hystérie dites-vous ? – donne davantage l’impression que les gamines s’amusent, s’encanaillent et que jeunesse se passe. Le regard de Corsini se teinte d’une pointe de condescendance qui dégagerait presque des relents phallocrates. Un comble.

Mais le portrait des luttes féministes n’est pas l’argument essentiel du film, et l’intrigue se focalise très vite sur la romance entre les deux jeunes femmes. Voilà donc une œuvre sur l’amour saphique dont l’appétit pour la représentation du corps féminin est sans limite. Si elles sont tout aussi crues que celles de lAdèle de Kechiche, les scènes de sexe sont bien moins lubriques. Plus érotiques, plus sensuelles, plus amoureuses, plus joueuses, plus vraies en somme, les amours de Corsini ne révèlent aucune complaisance dans l’exhibition de l’interdit. Elles n’en sont que plus troublantes.

La Belle saison se construit classiquement sur l’opposition entre deux mondes. A la grisaille et aux teintes pastel de Paris s’oppose la lumière étincelante de la campagne estivale, contraste esthétique réussi quand la réalisatrice ne force pas le trait. Au monde intellectuel s’oppose la rustrerie paysanne, à la liberté des mœurs le conservatisme. Néanmoins, chacune des deux représentations échappe à la caricature et se révèle plus complexe. Car si Delphine la paysanne s’immerge sans difficulté dans les milieux sorbonnards et vit très naturellement sa sexualité, Carole la professeure parisienne s’ouvre difficilement à un monde paysan dont elle peine à saisir les blocages, et se découvre non sans surprise une sexualité qu’elle a de toute évidence refoulée. De façon générale, Corsini multiplie les contrepieds et déçoit délicieusement les attentes du spectateur dont elle se joue avec un plaisir non feint.

Les obstacles qui font barrage aux amours ne viennent pas de l’extérieur, mais de déterminismes accrochés fermement aux consciences. Empêtrée dans sa ferme comme dans de la glu, incapable d’abandonner sa mère à sa terre, assommée par le sens des responsabilités, Delphine ne peut choisir sa vie. A l’inverse, Carole est profondément libre parce qu’elle porte en elle la capacité de se laisser détourner de son chemin. Assumer ses choix, faire fi de son environnement et de la pression collective, voilà donc la liberté selon Corsini, un individualisme de combat, existentialisme sartrien théorisé à la ville et mis en pratique à la campagne. Fort heureusement, la réalisatrice a suffisamment de talent pour alléger la leçon. Les acteurs sont convaincants, à commencer par Izïa Higelin qui, remarquable de vérité et d’intensité, se met au diapason d’une œuvre intelligente et toujours plaisante.

Date de sortie : 19 août 2015

Réalisé par : Catherine Corsini

Avec : Cécile de France, Izïa Higelin, Noémie Lvovsky

Durée : 1h45

Pays de production : France

The post La Belle saison, Catherine Corsini appeared first on Les heures perdues.

]]>
http://www.lesheuresperdues.fr/la-belle-saison-catherine-corsini/feed/ 0
La Femme au tableau, Simon Curtis http://www.lesheuresperdues.fr/la-femme-au-tableau-simon-curtis/ http://www.lesheuresperdues.fr/la-femme-au-tableau-simon-curtis/#comments Mon, 10 Aug 2015 13:39:29 +0000 http://www.lesheuresperdues.fr/?p=2161

A la mort de sa sœur, Maria Altmann, octogénaire charismatique et spirituelle établie à Los Angeles, se met en tête de récupérer cinq toiles de Gustav Klimt. Sa famille, des Juifs notables de la Vienne de l’entre-deux-guerres, en a été spoliée lors de l’annexion de l’Autriche par Hitler en 1938. Parmi ces trésors désormais possessions […]

The post La Femme au tableau, Simon Curtis appeared first on Les heures perdues.

]]>

A la mort de sa sœur, Maria Altmann, octogénaire charismatique et spirituelle établie à Los Angeles, se met en tête de récupérer cinq toiles de Gustav Klimt. Sa famille, des Juifs notables de la Vienne de l’entre-deux-guerres, en a été spoliée lors de l’annexion de l’Autriche par Hitler en 1938. Parmi ces trésors désormais possessions de l’Etat autrichien se trouve le célébrissime « Portrait d’Adèle », tante idôlatrée par Maria. Dans cette quête improbable, elle s’attache les services d’un jeune avocat américain, Randy Schönberg, petit-fils du musicien, qui va découvrir la nature profonde de l’humiliation subie par les Juifs à mesure qu’il explore ses propres origines.

Il était à craindre que Simon Curtis s’abîme dans les poncifs du genre en livrant un énième mémorial des crimes nazis. Mais si le film respecte le cahier des charges du genre et frise par moment le déjà-vu, sa narration est efficace et son rythme impeccable. La mise en scène est sans fausse note et fourmille de bonnes idées. Helen Mirren, l’interprète de Maria, est sublime. Le mot est sans doute galvaudé, mais comment qualifier autrement ce charisme, cette force, cette dignité, cette drôlerie, cette charge émotionnelle évidente mais retenue, cette justesse, cette beauté ?

La Femme au tableau se fonde sur le dialogue permanent entre deux époques. Au passé les faits et les souvenirs de Maria ; au présent le procès et les enjeux qui lui sont liés, pressions des gouvernements, de l’opinion publique, dédales administratifs et judiciaires. Dans cette perspective, le cinéaste se heurte à la difficulté de faire cohabiter les deux temporalités et recourt massivement aux flashbacks, dont il évite habilement les écueils : les nombreuses scènes du passé sont insérées avec pertinence et ne cèdent ni  à un tragique stérile, ni à l’exotisme béta du film d’époque. Mieux que cela, chacune de ces analepses est reliée au présent, en levant le voile sur des informations essentielles à la progression de l’enquête et en instruisant le spectateur sur l’état psychologique et émotionnel de Maria : bribes de mémoires subitement reparues, comme le pouvoir d’évocation de la toile ou la visite de l’appartement familial, obsessions nostalgiques, telles que la présence sensuelle de la tante Adèle, images violentes et traumatisantes, à l’instar de la tonte publique des barbes des Juifs ou du marquage systématique de leurs commerces. Chaque image a son importance puisqu’elle explique et motive les actions de Maria. Cet entremêlement de deux époques, lorsqu’il devient total, offre même des fragments d’une touchante beauté : les scènes où Maria octogénaire déambule dans l’appartement viennois de sa jeunesse parmi les souvenirs des siens morts en déportation, des êtres de chair saisis dans le dépouillement de leurs faits et gestes quotidiens, sont des moments de grâce. Le procédé rappelle le très beau travail de la photographe italienne Moira Ricci qui insère sa propre image sur les photos anciennes de sa défunte mère.

La spoliation des biens juifs est un thème assez peu traité par le cinéma bien qu’il s’agisse d’une problématique toujours d’actualité : les acquisitions suspectes peuplent aujourd’hui encore les musées européens[1]. Le thème permet toutefois au cinéaste de prendre le parti des choses : dans cette dénonciation des crimes nazis et de leurs complices inassumés, les victimes sont moins les hommes que les objets. Ainsi vous ne trouverez dans La Femme au tableau ni chambres à gaz, ni violences, ni traces de sévices, mais la caméra s’attarde avec minutie et délicatesse sur les objets dont le rapt provoque la souffrance des victimes. Ainsi du collier d’Adèle, bijou de famille qui fascine la jeune Maria et passe du cou de la tante chérie à celui de l’épouse de Goering. Ainsi du violoncelle  « raison de vivre » d’un père au comble du désespoir lorsque l’officier SS s’en empare. Ainsi du fameux portrait bien sûr, qui trônait jadis sur la cheminée du salon et irriguait les réunions familiales de tout son or. Dans un prologue, l’objectif s’attarde en très gros plan sur une feuille d’or que Klimt appose délicatement sur la « Mona Lisa autrichienne », geste de chirurgien, d’artiste et de dévot. Le réalisateur montre une certaine fascination pour ces objets investis d’une sacralité dont la valeur, loin d’être pécuniaire, est avant tout sentimentale. C’est d’ailleurs lorsqu’il en prend conscience que Randy évolue véritablement et prend toute la mesure du travail qu’il vient d’entreprendre. La spoliation des biens juifs s’apparente à un viol puisqu’elle pénètre l’intimité du clan et y dérobe ses totems, qui sont autant de traces d’histoire et d’émotions familiales. Les récupérer, c’est rendre au souvenir sa dignité, c’est recréer un rapport sensuel aux disparus. Lorsque la jeune Maria fait ses adieux à ses parents, la scène bouleverse parce que ceux-ci se tiennent au milieu d’un appartement vidé de ses objets.

Mais l’intime se heurte au collectif : l’Autriche de 1998 n’est plus nationale-socialiste et, si son gouvernement refuse de rétrocéder les trésors de Klimt, c’est parce que le temps en a fait des fétiches nationaux. Les questionnements autour de la sacralité de l’objet paraissent donc infinis. Signe que le cinéaste a su faire de son œuvre un film à part qui étudie la barbarie nazie par une ornière aussi neuve que stimulante.

[1] A ce sujet, lire l’article suivant sur le cas des musées français.

 

Date de sortie : 15 juillet 2015

Réalisé par : Simon Curtis

Avec : Helen Mirren, Ryan Reynolds, Daniel Brühl

Durée : 1h50

Pays de production : Royaume-Uni, Etats-Unis

The post La Femme au tableau, Simon Curtis appeared first on Les heures perdues.

]]>
http://www.lesheuresperdues.fr/la-femme-au-tableau-simon-curtis/feed/ 0
Le Labyrinthe du silence, Giulio Ricciarelli http://www.lesheuresperdues.fr/le-labyrinthe-du-silence-giulio-ricciarelli/ http://www.lesheuresperdues.fr/le-labyrinthe-du-silence-giulio-ricciarelli/#comments Tue, 26 May 2015 19:34:07 +0000 http://www.lesheuresperdues.fr/?p=2108

Entre 1963 et 1965 se tient le second procès d’Auschwitz au cours duquel 22 acteurs mineurs de l’Holocauste sont jugés pour des actes individuels. Giulio Ricciarelli fait le récit de la laborieuse instruction de ce procès historique qui tâcha d’alerter les consciences sur la responsabilité individuelle des « petits », enclins à diluer leur faute dans […]

The post Le Labyrinthe du silence, Giulio Ricciarelli appeared first on Les heures perdues.

]]>

Entre 1963 et 1965 se tient le second procès d’Auschwitz au cours duquel 22 acteurs mineurs de l’Holocauste sont jugés pour des actes individuels. Giulio Ricciarelli fait le récit de la laborieuse instruction de ce procès historique qui tâcha d’alerter les consciences sur la responsabilité individuelle des « petits », enclins à diluer leur faute dans les rouages de la machine nazie.

Johann Radmann est un jeune homme fraîchement nommé procureur à Francfort-sur-le-Main, et dont l’activité principale se limite à des délits mineurs. En cette année 1958, un journaliste, Thomas Gnielka, fait irruption dans le palais de justice et réclame qu’une instruction soit ouverte contre un ancien nazi. Ce dernier, responsable de crimes odieux à Auschwitz, coule désormais des jours tranquilles en tant que professeur. Mais Gnielka se heurte à l’indifférence générale, seul Radmann est intrigué. Le jeune homme entame une enquête et finit par être officiellement nommé à la tête d’une instruction à l’ampleur abyssale, puisqu’il doit recueillir toutes preuves utiles des crimes nazis à Auschwitz afin d’en condamner les auteurs.

Après Phoenix de Christian Petzold, le cinéma allemand contemporain démontre une fois encore son intérêt pour les difficiles années qui suivent la Seconde Guerre mondiale. Comment pardonner ? Comment assumer les crimes commis par le voisin, l’oncle, ou même le père ? Radmann est d’abord le témoin d’une omerta générale, ou plutôt d’un déni. Comme l’en avise un collègue, toutes les guerres ont après tout leur lot de crimes, et l’histoire officielle est toujours celle des vainqueurs. En cela, l’Allemagne n’a pas à payer encore ; il est temps de passer à autre chose. Une posture confortable qui se double d’une ignorance terrible. Comme en France à la même époque, l’Allemand moyen ignore tout de l’holocauste, et le mot Auschwitz n’évoque rien à ses oreilles. Les SS et les cadres nazis sont encore omniprésents au sein de la société : du juge au haut fonctionnaire en passant par le simple boulanger, les miasmes du IIIème Reich parsèment la société toute entière et la musèlent dans un silence assourdissant. Pour en révéler la substance, Giulio Ricciarelli joue à merveille sur le détail et l’anecdote.

Mais la prise de conscience progressive de Radmann et l’évolution du personnage sont sans conteste les plus belles réussites du film. D’abord ignorant des crimes nazis comme tant d’autres, il témoigne d’un intérêt croissant qui se focalise sur la figure du terrible docteur Mengele et vire à l’obsession. Le jeune procureur passe de l’effroi à la colère et endosse rapidement le costume d’un banal père-la-morale qui enquête, traque et condamne avec la certitude des justes. On aurait pu en rester là, mais voilà que Radmann apprend que son père était aussi carté au parti nazi, et ses certitudes s’effondrent. Dès lors, il comprend qu’il ne mène pas là une simple croisade du bien contre le mal, mais qu’il a pénétré l’insondable sac de nœuds que représente la psyché du peuple allemand. Blessé dans sa chair, tour à tour abattu et révolté, Radmann chute de son piédestal et réalise qu’il n’est qu’un Allemand parmi d’autres, incapable de concilier un passé collectif qui le submerge avec sa morale personnelle. D’abord insipide, le personnage prend de l’épaisseur à mesure qu’il se noie dans la nécessité double et paradoxale de se souvenir et d’oublier, de condamner et de pardonner.

Giulio Ricciarelli saisit donc avec brio l’impossible pardon allemand. Mais incapable de respecter son sujet, ou simplement de lui faire confiance, il commet la regrettable erreur de le parer d’inutiles fanfreluches. Le philosophe Adorno avait créé une polémique en affirmant qu’écrire un poème était intenable après Auschwitz. Dans sa lignée, Claude Lanzmann avait estimé que le documentaire était seul capable de saisir la vérité du génocide, et que toute tentative de styliser un témoignage ou, pire, de recourir à la fiction ou au pathos, était obscène. Si Adorno ou Lanzmann n’ont sans doute pas complètement raison, force est de constater que le trop plein musical du film, son montage souvent manichéen et sa direction d’acteurs sans retenue nuisent à cet immense sujet, et traduisent davantage le peu d’estime que le réalisateur porte à son public. On regrette qu’il ne s’en soit pas tenu à la scène poignante du premier témoignage recueilli par Radmann et sa dactylo, dans laquelle les mots du survivant ne nous parviennent pas, mais où l’effroi et la tristesse de la secrétaire disent tout. De l’émotion, donc, mais au service d’une certaine pudeur. La preuve que le réalisateur ne manque pas d’à propos et qu’il s’est, hélas, laissé déborder par une coupable envie de trop bien faire.

Date de sortie : 29 avril 2015

Réalisé par : Giulio Ricciarelli

Avec : Alexander Fehling, André Szymanski, Friederike Becht

Durée : 2h03

Pays de production : Allemagne

The post Le Labyrinthe du silence, Giulio Ricciarelli appeared first on Les heures perdues.

]]>
http://www.lesheuresperdues.fr/le-labyrinthe-du-silence-giulio-ricciarelli/feed/ 0
It Follows, David Robert Mitchell http://www.lesheuresperdues.fr/follows-david-robert-mitchell/ http://www.lesheuresperdues.fr/follows-david-robert-mitchell/#comments Thu, 05 Mar 2015 20:08:23 +0000 http://www.lesheuresperdues.fr/?p=2070

Le film de zombies à résonance politique retrouve ses lettres de noblesse avec David Robert Mitchell. Un vrai propos, mais aussi une plastique impeccable et une narration efficace. Et le plaisir du frisson, bien sûr. Un plan circulaire balaye une rue austère du Michigan. Une jeune fille prise de panique se précipite hors de la […]

The post It Follows, David Robert Mitchell appeared first on Les heures perdues.

]]>

Le film de zombies à résonance politique retrouve ses lettres de noblesse avec David Robert Mitchell. Un vrai propos, mais aussi une plastique impeccable et une narration efficace. Et le plaisir du frisson, bien sûr.

Un plan circulaire balaye une rue austère du Michigan. Une jeune fille prise de panique se précipite hors de la villa familiale. Pieds nus au milieu de la rue, en petite tenue, elle observe quelque chose dans un mélange d’effroi et de résignation. Tout va bien ?, lui demande une voisine. Oui, répond-elle mécaniquement sans quitter cette chose des yeux. Elle scrute, piétine à reculons, se rue dans sa maison en évitant son père circonspect, récupère les clés de la voiture et fonce droit devant elle.

Tout est là dans ce prologue. It Follows est un film de zombies soft qui cultive l’horreur non par le spectaculaire ou l’effet de surprise, mais par la lenteur et la sobriété. La chose en question est simple mais terrifiante. Elle adopte l’apparence d’un anonyme ou d’un proche, et marche lentement vers sa victime. Elle marche, inexorablement. Elle finit toujours par retrouver sa cible, quelle que soit l’avance qu’elle parvient à prendre sur elle. Une seule façon de s’en débarrasser : coucher avec une personne qui deviendra dès lors sa nouvelle convoitise. Ce zombie sexuellement transmissible n’est visible que par ses proies, qu’il n’oublie jamais : s’il réussit à tuer, il se retourne vers la cible précédente.

Il faut voir ces êtres désincarnés marcher le regard hagard vers Jay, l’héroïne du film. Il faut la voir – elle comme nous – suspecter chacun des passants qui se dirigent vers elle. L’effroi naît de l’anonymat et tout le monde devient suspect. La foule devient terrifiante, l’autre est un cauchemar. Dans une tension permanente, rehaussée par une bande originale brillante de minimalisme et d’efficacité, l’image saisit cette banalité de l’horreur par l’exploitation prodigieuse des plans larges et des travellings. Dans ce projet visuel, le décor est donc essentiel : It Follows met en scène un Detroit ravagé par la crise, sinistre, misérable et sans vie, qu’il s’agisse de masures à l’abandon ou de rues mornes et déprimantes bordées de pavillons pour classes moyennes. La photographie est léchée, composée avec soin et ne se départit jamais d’une grisaille exploitée dans toutes ses nuances. David Robert Mitchell démontre une certaine fascination pour la ruine et la misère. Ce sordide attrait pour les dégradations subites et spectaculaires qui ont fait suite à la crise des subprimes est en vogue. Il flirte de toute évidence avec un voyeurisme de mauvais aloi, à moins qu’il ne s’agisse d’un moyen de conjurer l’effroi des destructions sociales à l’œuvre. Quoi qu’il en soit, l’image est belle. La crise a cela d’horrible qu’elle a rendu possible une puissante esthétique de la ruine sur laquelle des artistes tels qu’Hubert Robert hier, ou Vincent J. Stocker aujourd’hui ont admirablement travaillé.

Mais la pertinence de cette représentation n’est pas qu’esthétique. Entre la photographie de la crise et le choix du zombie existe en effet un lien évident : solitaire, lent et inéluctable, le prédateur apparaît bien vite comme une incarnation du tragique des régions désindustrialisées américaines, comme pour souligner l’extrême individualisation de ces nouvelles formes de précarité et l’inexistence des réponses collectives. Là où la tradition du film de zombies aimait créer du collectif par des armées d’agresseurs ou des foules de victimes, It Follows concentre sa tension dramatique sur un être anonyme et profondément individuel. Ici, le mal est secret, le fardeau impartageable, la souffrance confidentielle. Comble de l’horreur, l’intimité amoureuse devient soit impossible, parce qu’on transmet à l’autre, soit utilitaire, parce qu’on sauve momentanément sa peau. Tout dans It Follows semble interdire le partage et le bonheur collectif. Si Jay peut encore bénéficier du soutien de ses semblables, c’est en gagnant lentement la confiance de ses amis, et en ne comptant que sur leurs sentiments. Une bien faible lueur d’espoir.

Date de sortie : 4 février 2015

Réalisé par : David Robert Mitchell

Avec : Maika Monroe, Keir Gillchrist, Daniel Zovatto

Durée : 1h40

Pays de production : Etats-Unis

The post It Follows, David Robert Mitchell appeared first on Les heures perdues.

]]>
http://www.lesheuresperdues.fr/follows-david-robert-mitchell/feed/ 3
Phoenix, Christian Petzold http://www.lesheuresperdues.fr/phoenix-christian-petzold/ http://www.lesheuresperdues.fr/phoenix-christian-petzold/#comments Fri, 13 Feb 2015 20:09:50 +0000 http://www.lesheuresperdues.fr/?p=2035

Comment survivre à l’holocauste et redevenir soi-même ? Comment faire confiance à ceux qui ont peut-être trahi ? Christian Petzold tâche d’apporter quelques réponses dans un film secret et délicat. Automne 1945. Nelly Lenz a survécu à l’holocauste. Mais peu avant l’arrivée des Alliés, une dernière balle a détruit son visage. De retour à Berlin, soutenue par […]

The post Phoenix, Christian Petzold appeared first on Les heures perdues.

]]>

Comment survivre à l’holocauste et redevenir soi-même ? Comment faire confiance à ceux qui ont peut-être trahi ? Christian Petzold tâche d’apporter quelques réponses dans un film secret et délicat.

Automne 1945. Nelly Lenz a survécu à l’holocauste. Mais peu avant l’arrivée des Alliés, une dernière balle a détruit son visage. De retour à Berlin, soutenue par Lene, une amie fidèle à la présence maternelle, elle subit une lourde « reconstruction » faciale. Les médecins l’interrogent sur l’aspect à donner à ce nouveau visage : celui d’une starlette à la mode peut-être ? Pourquoi pas profiter de cette occasion pour faire table rase ? Mais Nelly refuse : elle veut retrouver ses traits d’avant l’horreur et redevenir la chanteuse de cabaret qui écumait la ville avec son mari Johnny, lui-même musicien. Son visage à peine rafistolé, elle n’a qu’une idée en tête : retrouver celui qu’elle aime et dont le souvenir lui a permis de survivre aux camps. Mais Lene lui suggère bientôt que ce dernier est probablement responsable de sa déportation…

Errant parmi les ruines, se heurtant à la faune interlope de Berlin occupé par les troupes alliées, un Berlin de crime, de luxure et de corruption, elle finit par retrouver « son » Johnny. L’ancien pianiste est devenu homme à tout faire dans un obscur cabaret. Il ne reconnaît pas sa femme qu’il croit morte. Cependant, troublé par sa ressemblance, il lui propose un étrange jeu de dupes : l’inconnue doit se faire passer pour Nelly, sa défunte épouse, afin de toucher l’important héritage qui lui est dû et qu’ils se partageront alors.

Dès lors, Johnny enseigne à Nelly comment être Nelly dans un étonnant apprentissage. Celle qui n’est plus qu’un fantôme, revenue d’entre les morts, défigurée, accepte d’apprendre à devenir celle qu’elle a naguère été. Voilà d’abord pour la jeune femme un moyen efficace d’en savoir davantage sur les sentiments de Johnny et d’enquêter sur les circonstances de son arrestation. Mais cette situation paradoxale épouse surtout parfaitement son état psychique : rescapée de la Shoah, étrangère à elle-même, Nelly doit renouer avec son identité et reconquérir son humanité. Comment redevenir soi, après tout cela ? Comment redevenir soi en ce lieu, avec ces gens ? Lene, l’amie fidèle, apporte une réponse définitive : c’est impossible. Ne reste que la fuite en Palestine … ou la mort.

Et que faire de Johnny ? Un salaud ? Un misérable pygmalion dont la créature ne vaut que pour ce qu’elle pourra lui rapporter ? Un homme ordinaire contraint à la pire des vilenies par des circonstances extraordinaires ? L’Histoire l’a sans doute dépassé ; le IIIème Reich et la guerre ont tiré ce qu’il y avait de pire en l’homme. Mais a-t-il vraiment trahi ? A t-il aimé sa femme ? L’aime-t-il même encore ? Dans les séquences où Johnny dirige son actrice affleure une émotion ténue qui résonne douloureusement, comme l’aveu d’échec d’un metteur en scène qui ne parvient pas à redonner corps à celle qu’il a aimée. A moins que l’on ne fasse fausse route, et qu’il ne faille y voir que de la déception d’un faussaire redoutant de futurs déboires. L’ambiguïté du personnage est rendue admirablement par la caméra de Christian Petzold qui s’en tient au point de vue de la jeune femme et ne livre ainsi que des bribes d’incertitude.

La mise en scène de Christian Petzold, qui s’attache ici à un très grand sujet, se signale par son élégance et sa délicatesse. L’image ne condamne jamais abruptement et se contente de faire éclore des fragments d’émotion tout en retenue, comme si ces accès ne pouvaient faire autrement que jaillir, bien que tout ait été fait pour les comprimer pudiquement. En témoigne la sublime scène où Nelly, agrippée à la taille de Johnny sur sa mobylette, susurre le scénario de sa dénonciation, une hypothèse qui comprend et pardonne sans pourtant nier les faits. Un océan d’humanité et d’amour qui ne recueille que l’indifférence d’un Johnny incapable de reconnaître celle qu’il a aimée.

Petzold adopte une narration sobre et lente pour que chacun de ces fragiles instants soit profondément investi par le spectateur. Il faut prendre le temps de sentir l’absurdité de la situation, de saisir l’incompréhension de Nelly, son effroi et sa stupeur, son amour et ses espoirs vains. A travers le parcours d’une survivante, Petzold esquisse le portrait d’un peuple tout entier et filme une réconciliation impossible. Nelly, de bout en bout, demeure un fantôme qui n’a pas sa place à Berlin, que d’aucuns préféreraient sans doute tout à fait mort. Sa dernière apparition est d’ailleurs spectrale : tournant le dos à ceux qui l’ont reconnue, elle quitte la scène en glaçant son auditoire.

 

Date de sortie : 28 janvier 2015

Réalisé par : Christian Petzold

Avec : Nina Hoss, Ronald Zehrfeld, Nina Kunzendorf

Durée : 1h38

Pays de production : Allemagne

The post Phoenix, Christian Petzold appeared first on Les heures perdues.

]]>
http://www.lesheuresperdues.fr/phoenix-christian-petzold/feed/ 0
les Nouveaux Sauvages, Damian Szifron http://www.lesheuresperdues.fr/les-nouveaux-sauvages-damian-szifron/ http://www.lesheuresperdues.fr/les-nouveaux-sauvages-damian-szifron/#comments Wed, 28 Jan 2015 22:44:08 +0000 http://www.lesheuresperdues.fr/?p=2007

Les Nouveaux Sauvages, de Damian Szifron, est une œuvre ambitieuse qui se confronte au genre casse-gueule du film à sketchs. A la volonté affichée de créer un moment de jubilation s’ajoute une prétention critique peu aboutie. Damian Szifron réalise une série de courts-métrages qui suivent un principe identique : à partir de situations quotidiennes génératrices d’exaspérations […]

The post les Nouveaux Sauvages, Damian Szifron appeared first on Les heures perdues.

]]>

Les Nouveaux Sauvages, de Damian Szifron, est une œuvre ambitieuse qui se confronte au genre casse-gueule du film à sketchs. A la volonté affichée de créer un moment de jubilation s’ajoute une prétention critique peu aboutie.

Damian Szifron réalise une série de courts-métrages qui suivent un principe identique : à partir de situations quotidiennes génératrices d’exaspérations plus ou moins légitimes, il met en scène des personnages qui rompent brusquement avec les codes sociaux et laissent éclater leur colère de façon complètement irrationnelle. Avec un tel programme, on s’attend évidemment à une critique sociale en règle, celle d’un monde dans lequel on reste corseté et où l’on est condamné à supporter violences quotidiennes, agressions sociales, injustices et autres mesquineries.

Ce qui est d’abord pointé du doigt, c’est cet impératif d’obtenir des succès pour avoir l’impression de réussir sa vie. Une morale libérale qui suppose bien sûr qu’il y ait des perdants. Et c’est un perdant champion du monde qui ouvre le bal, un certain Gabriel Pasternak, jeune homme qui a tout raté, sa scolarité, sa vie sentimentale, sa vocation d’artiste. Un loser sublime, donc, qui prend une revanche aussi hilarante que radicale sur sa pathétique destinée. Ce prologue génial est de loin la plus grande réussite du film qui dès lors va decrescendo et laisse parfois indifférent.

Chacun des personnages façonnés par le cinéaste argentin renoue donc avec sa part bestiale et fait la peau du salaud qui lui pourrit la vie : le businessman pressé qui colle et klaxonne dans sa grosse berline, l’insupportable guichetier de la fourrière, blasé et imperméable à toute requête, l’usurier sans scrupule et imbu de sa personne… La cruauté et la trivialité (l’un des personnages défèque sur un pare-brise) dont font preuve les enragés sonnent comme l’expression hilarante de pulsions profondément refoulées par la nécessité de vivre ensemble et d’accepter les codes sociaux. Cependant les « nouveaux sauvages » ne sont peut-être pas ceux qui se rebellent, mais bien leurs victimes, petits soldats ordinaires d’un ordre oppressant et injuste dans lequel règne l’absence d’empathie.

Or, les rébellions ne portent presque jamais contre un système, mais contre les individus qui en sont les pitoyables expressions : égoïstes, crâneurs, subalternes zélés… En cela, le film a quelque chose de dérangeant. Bien qu’évidemment politique en son cœur, le propos finit constamment en queue de poisson en évitant soigneusement d’identifier tout à fait les causes du mal-être existentiel, et le côté « bête et méchant » devient assez rapidement redondant et plutôt creux. Loin d’être vraiment subversive, la morale du film, à bien y regarder, est même paradoxalement consensuelle. Chaque acte de rébellion débouche en effet sur un crime. Et, surtout, chaque révolté est risible. Que reste-t-il de leurs gestes fous ? Rien, mais c’était drôle, merci. Damian Szifron balaie d’un revers de la main la possible légitimité de ces révoltes et se moque ouvertement, quoiqu’avec attendrissement, de ces initiatives malheureuses. On a beau comprendre et pardonner ces excentriques dérapages, il n’en demeure pas moins qu’ils sont inutiles et qu’il reste nécessaire de s’accommoder des quelques désagréments de la vie. Il y a donc un certain cynisme qui parcourt le film, dont l’apogée est atteint lorsqu’un père richissime paie son jardinier pour qu’il aille en prison à la place de son fils, responsable d’homicide involontaire et de délit de fuite. Là où une critique acerbe aurait pu viser un système à la morale piteuse où le faible finit toujours par souffrir, le réalisateur préfère rire aveuglément de la nature humaine sans faire de distinction : le jardinier participe à l’étonnante machination qui se joue pour maquiller le crime du fils, et de laquelle chacun tire allègrement sa part du gâteau ; crotale parmi les crotales qui aura lui aussi son compte.

Alors, que reste-t-il de tout cela ? Pas grand chose, si ce n’est un rire gras, cathartique et cynique à souhait. Hélas ? Tant mieux ? Chacun se fera son avis !

 

Date de sortie : 14 janvier 2015

Réalisé par : Damian Szifron

Avec : Ricardo Darin, Oscar Martinez, Leonardo Sbaraglia

Durée : 2h02

Pays de production : Argentine, Espagne

The post les Nouveaux Sauvages, Damian Szifron appeared first on Les heures perdues.

]]>
http://www.lesheuresperdues.fr/les-nouveaux-sauvages-damian-szifron/feed/ 1
Magic in the Moonlight, Woody Allen http://www.lesheuresperdues.fr/magic-in-the-moonlight-woody-allen/ http://www.lesheuresperdues.fr/magic-in-the-moonlight-woody-allen/#comments Fri, 31 Oct 2014 14:10:22 +0000 http://www.lesheuresperdues.fr/?p=1884

On a chaque année plaisir à retrouver Woody Allen. Que le cru soit bon ou mauvais, il y a cette petite musique, ce ton très personnel, ces dialogues pleins d’esprit. On l’aime bien, Woody. Cela dit, ce Magic in the Moonlight nous a laissés froids. La faute à un inhabituel manque de subtilité. Il faut […]

The post Magic in the Moonlight, Woody Allen appeared first on Les heures perdues.

]]>

On a chaque année plaisir à retrouver Woody Allen. Que le cru soit bon ou mauvais, il y a cette petite musique, ce ton très personnel, ces dialogues pleins d’esprit. On l’aime bien, Woody. Cela dit, ce Magic in the Moonlight nous a laissés froids. La faute à un inhabituel manque de subtilité.

Il faut dire que sa précédente livraison, Blue Jasmine, avait porté la barre très haut, et que le sujet de ce nouvel opus faisait saliver : dans les années 1920, le magicien Wei Ling Soo fait fureur sur les scènes du monde entier. Il fait disparaître des éléphants, tranche des femmes en deux, se téléporte d’un sarcophage à un fauteuil. Sous le grimage de l’illusionniste chinois se cache en fait Stanley Crawford, un Anglais snob et grognon, à l’esprit acéré et au scientisme imparable. Ce rationaliste absolu a une seconde passion : démasquer les faux médiums et autres voyants de pacotille. Un vieil ami l’entraîne ainsi sur la Côte d’Azur où il doit confondre Sophie, jeune et ravissante jeune femme qui, par ses « impressions mentales », a mis à ses pieds une riche et influente famille.

Les ingrédients étaient donc tous là : un Colin Firth décapant en dandy bougon, une Emma Stone rayonnante en manipulatrice espiègle, un cadre séduisant, une romance impossible, une intrigue policière, une ambiance à la Agatha Christie, une méditation sur le scientisme et la métaphysique, sur l’opportunité de croire ou non en des apparences qui dépassent la raison.

Or, le film est convenu et ne surprend jamais, au point d’ennuyer malgré un semblant de suspense. Il y a d’abord cette structure trop visible qui frise ici le mode d’emploi pour cinéaste débutant : présentation des personnages, portraits en action,  apparition des confidents-adjuvants respectifs, personnages secondaires burlesques, puis mise en place de l’intrigue, péripéties, acmé, dénouement. Un dénouement marivaudesque d’une confondante banalité dans lequel les masques tombent et révèlent la vérité des âmes.

Cette structure ennuyeuse mine un propos aussi terne que décevant. Stanley est dépassé par les « talents » de Sophie. Il ne parvient pas à dénicher son « truc », se remet profondément en cause au point d’invoquer le Seigneur, et finit par tomber sous le charme d’une personnalité apparemment incompatible avec la sienne. Sa « logique insensée » (une bien belle formule, peut-être ce que l’on retiendra du film) doit se rendre à l’évidence : la vie comporte bien une part mystique. Si ce n’est la communication avec l’au-delà, eh bien… c’est donc l’amour ! Car l’amour est cette force qui fait baisser la garde au point de remettre en cause toutes les certitudes.

La niaiserie de l’idée ne dérangerait pas outre mesure si celle-ci n’était lourdement soulignée tout au long du film. Woody Allen explique par des dialogues progressifs et tortueux que l’amour est irrationnel et que la raison ne fait pas tout. Au point que l’on finit par se sentir comme un élève de terminale littéraire qui se serait assis par erreur dans une classe de français de quatrième. Ce didactisme grotesque nous donnerait presque envie de jeter quelques tomates sur ces décors bourgeois de French Riviera. Si ce n’était Woody Allen…

Vivement l’an prochain !

Date de sortie : 22 octobre 2014

Réalisé par : Woody Allen

Avec : Colin Firth, Emma Stone

Durée : 1h38

Pays de production : Etats-Unis

The post Magic in the Moonlight, Woody Allen appeared first on Les heures perdues.

]]>
http://www.lesheuresperdues.fr/magic-in-the-moonlight-woody-allen/feed/ 1
Mommy, Xavier Dolan http://www.lesheuresperdues.fr/mommy-xavier-dolan/ http://www.lesheuresperdues.fr/mommy-xavier-dolan/#comments Sun, 19 Oct 2014 11:11:53 +0000 http://www.lesheuresperdues.fr/?p=1851

Le dernier film de l’excellent Xavier Dolan nous plonge dans l’intimité violente d’une mère et de son fils. Un petit chef d’œuvre. Steve (excellent Antoine-Olivier Pilon) est atteint d’un trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité. Tout juste exclu d’un centre de rééducation du fait de sa violence, celui-ci retrouve sa mère, Diane Després (touchante […]

The post Mommy, Xavier Dolan appeared first on Les heures perdues.

]]>

Le dernier film de l’excellent Xavier Dolan nous plonge dans l’intimité violente d’une mère et de son fils. Un petit chef d’œuvre.

Steve (excellent Antoine-Olivier Pilon) est atteint d’un trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité. Tout juste exclu d’un centre de rééducation du fait de sa violence, celui-ci retrouve sa mère, Diane Després (touchante Anne Dorval), qu’il adore plus que de raison. Dès les premiers instants, les effusions d’amour de Steve pour Diane succèdent aux accès de brutalité à son égard. En face du logis de ce couple terrible, une voisine étrange, snob et mutique les observe. C’est Kyla, professeur en congé sabbatique qui se remet doucement d’un drame terrible. Bientôt un trio harmonieux et prometteur se forme.

Il a une gueule blonde, l’œil rougeaud et une grosse bouche. De cette bouche, il a fait un puits à injures, un gueuloir infini qu’il tortille et déforme dans tous les sens pour tirer la langue, montrer les gencives et cracher. Lui, c’est Steve, un ado terrible, violent, qui vitupère, tape du pied et braille encore et toujours, mû par ses seules émotions. Complètement irrationnel, Steve n’a que son amour et sa colère pour lui… Et sa mère, une femme un brin vulgaire, une grande gueule sans le sou et sans éducation.

On le connaît Dolan. Un post-adolescent éternel au cinéma écorché vif et passionné, dans lequel on s’agite en insultant sa mère, sur un arrière-fond de musique pop. Un génie pour certain, un poseur injustement starifié pour d’autres. Et c’est vrai que parfois notre cœur balance. Mais, dans cette nouvelle plongée dans l’intimité d’une mère et de son fils, l’aiguille de la balance s’est bloquée tout à droite, du côté des chefs d’œuvre.

Dolan est un cinéaste, un vrai, qui ne redoute jamais de sombrer dans la facilité. Il ne craint pas d’utiliser tous les moyens dont son art dispose, de jouer sur le flou, le format de l’image ou le clair-obscur. Son cinéma est parfois naïf mais toujours grandiose : chacun de ses effets sert une émotion, la révèle ou la sublime. Ce qu’il dit est fort. Ce qu’il montre l’est aussi. Une candeur cinématographique salutaire qui fait de lui un tout grand.

Ainsi Dolan filme Steve et sa mère dans un carré resserré, format 1 :1, procédé d’abord perturbant qui engonce, empêche, mais qui finit par se faire oublier. Par deux fois cependant le format s’élargit quelques instants et prend tout l’espace de l’écran ; une harmonie paraît alors atteinte dans la vie chaotique des protagonistes, et l’image se délie, prend de l’ampleur, de la couleur aussi. Difficile effectivement d’atteindre la quiétude dans un quotidien miné par les problèmes d’argent, par les sautes d’humeur de la bombe à retardement qu’est Steve. Le film n’a pas d’intrigue véritable et se présente comme un concentré d’émotions à l’état brut. Cette Mommy et son fils survivent, craignent chaque jour d’être demain et tâchent parfois de profiter d’instants lumineux, de moments de grâce entre les crises.

Dolan filme les émotions et les travaille au corps. La société n’a aucune prise sur Steve. Insensible aux moqueries, dépourvu d’empathie, imperméable à tout code social, tout se passe comme si le jeune homme n’était qu’un animal doué de parole, un fou seulement capable d’éprouver avec force ses émotions dans un quotidien terne. Finalement, personne n’est plus libre que Steve. Le jeune réalisateur offre des scènes brutes pour saisir cette liberté : une insulte contre le regard oblique d’une caissière, une danse sensuelle sur Céline Dion, un ride de longboard, un lancer tourbillonnant de caddy… Dolan, c’est la rencontre impromptue du glauque et du lyrisme. Et ce lyrisme devient poignant lorsque Diane rêve un avenir idéal pour son fils : dans une séquence magistrale et tragique, elle imagine les étapes de cette vie rêvée, une vie somme toute normale, études, job, amour, un tout si banal mais si beau – un fantasme – pour ce fils qui ne sera jamais comme les autres. Au cours de ce songe vain, le réalisateur québécois tutoie la quintessence de l’amour parental au point de nous tirer quelques larmes.

Cet amour maternel est contradictoire. Car si Diane veut le meilleur pour son fils, c’est-à-dire un statut social, une autonomie, elle est aussi éprise de son absolue liberté. Cette dualité se concrétise  avec l’apparition de Kyla, véritable double de Diane, qui seule paraît capable d’ « insérer » Steve en l’éduquant. Diane peut alors se contenter de subvenir aux besoins de la famille et d’aimer follement. La concorde naît de cet alliage brinquebalant, concorde éphémère puisque le trio n’est pas seul au monde et que la société finit par exiger son dû.

Mommy est finalement tout ce qu’on aime voir au cinéma. Une extrême intelligence au service de l’émotion, des acteurs sublimes, une virtuosité de cinéaste toujours à-propos, toute vouée à la beauté d’une œuvre, beauté des mots, de l’image et des âmes.

Date de sortie : 8 octobre 2014

Réalisé par : Xavier Dolan

Avec : Antoine-Olivier Pilon, Anne Dorval

Durée : 2h18

Pays de production : Canada

The post Mommy, Xavier Dolan appeared first on Les heures perdues.

]]>
http://www.lesheuresperdues.fr/mommy-xavier-dolan/feed/ 3
Winter Sleep, Nuri Bilge Ceylan http://www.lesheuresperdues.fr/winter-sleep-nuri-bilge-ceylan/ http://www.lesheuresperdues.fr/winter-sleep-nuri-bilge-ceylan/#comments Mon, 01 Sep 2014 16:34:04 +0000 http://www.lesheuresperdues.fr/?p=1757

Dans un superbe village d’Anatolie, Aydin, intellectuel et bourgeois local, dirige un petit hôtel dans lequel il vit reclus avec sa femme et sa sœur. Alors que s’installe l’hiver et que les touristes se font rares, la petite communauté se replie sur elle-même. Les rancœurs enfouies refont surface et la personnalité d’un homme est dépecée […]

The post Winter Sleep, Nuri Bilge Ceylan appeared first on Les heures perdues.

]]>

Dans un superbe village d’Anatolie, Aydin, intellectuel et bourgeois local, dirige un petit hôtel dans lequel il vit reclus avec sa femme et sa sœur. Alors que s’installe l’hiver et que les touristes se font rares, la petite communauté se replie sur elle-même. Les rancœurs enfouies refont surface et la personnalité d’un homme est dépecée au scalpel. Une œuvre intelligente et profonde, mais peut-être trop littéraire.

Trois heures seize de film, des dialogues à rallonge, presqu’aucune intrigue, Winter Sleep du Turc Nuri Bilge Ceylan est un film comme il n’en existe plus. On imagine la mine déconfite des producteurs face à ces attributs aussi peu bankable. Un film intello, un vrai, dans sa dimension la plus caricaturale. Et pourtant : s’il réclame une certaine endurance (si vous êtes quelque peu fatigués par une longue journée de travail, abstenez-vous !), le film est  accessible et trotte longtemps dans les esprits, une qualité de nos jours plutôt rare.  Preuve que la palme d’or 2014, sans être un chef d’œuvre, est une réussite.

Une fois n’est pas coutume, la présente critique va énumérer des références savantes. Non pas que votre auteur se pique de vous en mettre plein la vue ou tente de se faire recruter par la rédaction de Télérama, mais celles-ci sont si évidentes qu’il paraît délicat d’en faire l’économie.

Dostoïevski d’abord

Les Frères Karamazov, principalement, dans cet appétit pour les dialogues qui se succèdent et  se déploient à l’infini, ces personnages luttant contre le froid et lovés dans des intérieurs d’un autre temps, les visages éclairés par de faibles lueurs. Des dialogues usés jusqu’à la moelle, qui naissent d’une parole anodine, frisant parfois le désintérêt, qui bousculent soudain l’interlocuteur et résonnent violemment chez le spectateur, jusqu’à ce que s’installe à nouveau le terrible silence de l’hiver… La richesse, la puissance, la famille, l’amour, la générosité, les non-dits, les trop-dits… Tout ou presque passe à la moulinette de Nuri Bilge Ceylan, le film réussit à brasser un large spectre réflexif et émotionnel. Dans Winter Sleep, la parole est maîtresse, et c’est dans sa mise en scène qu’il faut comprendre l’œuvre, dans ce qu’elle cerne, ce qu’elle tait, ce qu’elle laisse entrevoir, suggère, effleure à peine ou saisit à bras-le-corps. On déplore toutefois une certaine irrégularité dans la qualité des dialogues, car le film n’est malheureusement pas exempt de quelques clichés et autres banalités lorsqu’il a pourtant la prétention de s’élever. Mais passons. Ici, la parole importe davantage que le fond.

Tchekhov ensuite

Il y a quelque chose de théâtral dans ces décors, ce quasi huis clos, ce village troglodyte, ces maisons superbement fichées dans la pierre, à flanc de colline, desquelles il semble impossible de s’extirper. Aydin, un ancien acteur retiré dans ce trou-là, prépare une somme sur l’histoire du théâtre turc et éprouve les pires difficultés du monde à quitter les lieux. Et, à la manière de Tchekhov, Nuri Bilge Ceylan veut chatouiller l’universel par le biais de conversations de bourgeois qui s’ennuient à mourir faute de trouver du sens à leur vie. Aucune surprise, donc, lorsque le générique de fin signale la référence à l’auteur russe.

Bergman, peut-être

En moins bon, soyons clair. Car, si le cinéaste suédois sait mettre l’image au service de l’intelligence et de l’émotion, si la beauté émerge d’un simple champ-contrechamp, ce n’est pas le cas chez Nuri Bilge Ceylan. Sans rater tout-à-fait son coup, le réalisateur turc est victime de choix trop faciles : clair-obscur à la bougie, neige, village troglodyte… Les paysages sublimes de Cappadoce, pompeusement mis en avant sur les affiches du film, apparaissent comme un alibi cinématographique plutôt trompeur. Car ceux-ci sont utilisés sporadiquement comme de simples raccords et l’on peine à leur trouver un intérêt autre que celui d’un marketing exotico-touristique. C’est un peu comme si un cinéaste français entrecoupait ses dialogues par des plans sur le Mont Saint-Michel. Sans doute crieriez-vous au mauvais goût, et vous n’auriez pas tort.

Dickens, enfin

Propriétaire insensible, famille misérable, gamin aux poches trouées et au regard frondeur, hiver rigoureux… Winter Sleep, conte moral à la Dickens, est aussi le portrait d’un bourgeois de province qui n’assume pas sa puissance. Aydin défend des thèses progressistes et sait se montrer généreux au quotidien. Mais voilà : multiple propriétaire terrien, il ferme les yeux sur la misère de ses locataires et délègue lâchement le règlement de leur sort à son fidèle homme à tout faire. Toute cette cruauté inassumée est superbement mise en scène et scénarisée : d’abord peu évidente, elle éclate au grand jour lors d’une scène bouleversante, une confrontation entre le père de ladite famille et la femme d’Aydin. Le spectateur bascule subitement de l’autre côté de la barrière, celui des miséreux, et prend toute la mesure des humiliations subies par la famille.

Aydin est un personnage complexe dont la puissance est aussi morale et intellectuelle. Les très grandes qualités qu’il exhibe ne semblent utiles qu’à avilir et assujettir les siens, au premier rang desquels sa femme et sa sœur. Il y a du tragique dans ce tempérament, car Aydin est prisonnier de sa propre condition : incapable de s’extraire du confort lié à son statut, il est condamné à commettre des actes parfois monstrueux, comme si sa position surpassait quoi qu’il arrive sa volonté. Aucun de ses agissements ne peut trouver grâce aux yeux de ses proches : sa puissance rend toute action suspecte, et elle rend toute passivité criminelle. Nuri Bilge Ceylan livre donc une œuvre politique, dans laquelle le bourgeois lui-même est victime de la bourgeoisie, un état qui fige et produit nécessairement pauvreté morale et matérielle.

Œuvre sur l’ambiguïté de l’âme et des statuts sociaux, ce Winter Sleep est donc un film d’une grande profondeur. Son plus grand défaut réside finalement dans un excès de littérarité : pétri de références, Nuri Blidge Ceylan perd parfois de vue qu’il fabrique une œuvre cinématographique. On l’en excuse, car ce défaut ressemble à s’y méprendre à une bien belle qualité.

Date de sortie : 6 août 2014

Réalisé par : Nuri Bilge Ceylan

Avec : Haluk Bilginer, Melisa Sözen, Demet Akbag

Durée : 3h16

Pays de production : Turquie

 

The post Winter Sleep, Nuri Bilge Ceylan appeared first on Les heures perdues.

]]>
http://www.lesheuresperdues.fr/winter-sleep-nuri-bilge-ceylan/feed/ 3
Jimmy’s Hall, Ken Loach http://www.lesheuresperdues.fr/jimmys-hall/ http://www.lesheuresperdues.fr/jimmys-hall/#comments Tue, 15 Jul 2014 11:23:12 +0000 http://www.lesheuresperdues.fr/?p=1720 jimmy’s hall

1932 en Irlande, Jimmy Gralton revient d’un exil de dix ans aux Etats-Unis. Dans son comté de Leitrim, il retrouve une mère affectueuse et les amis avec lesquels il a fondé, quelques années auparavant, un dancing très populaire qui joua un important rôle social au sein de la communauté. Bien vite, les jeunes du pays, […]

The post Jimmy’s Hall, Ken Loach appeared first on Les heures perdues.

]]>
jimmy’s hall

1932 en Irlande, Jimmy Gralton revient d’un exil de dix ans aux Etats-Unis. Dans son comté de Leitrim, il retrouve une mère affectueuse et les amis avec lesquels il a fondé, quelques années auparavant, un dancing très populaire qui joua un important rôle social au sein de la communauté. Bien vite, les jeunes du pays, séduits par les récits de cet âge d’or qu’ils n’ont pas connu, pressent Jimmy de rouvrir le Hall. Il ne faudra pas le prier longtemps. Mais, rapidement perçu comme un lieu de déchéance morale, le lieu est combattu par l’autorité religieuse du coin, ainsi que par les potentats locaux organisés en obscures milices.

Avec ce Jimmy’s Hall, Ken Loach poursuit son investigation socio-historique sur l’indépendance irlandaise. Contrairement au Vent se lève, toutefois, son dernier film n’a pas l’ambition de saisir l’Histoire à bras le corps. Il s’agit cette fois d’exploiter un fait divers, d’illustrer par l’anecdote des enjeux politiques, sociaux et moraux. A travers les mésaventures des partisans du dancing, Ken Loach étudie d’un œil affectueux les répercussions de la grande Histoire sur la vie d’une communauté. Jimmy n’est pas un grand révolutionnaire, mais son entreprise, bien qu’apparemment dénuée de sens politique, insuffle un vent de liberté à une société corsetée.

Cet opus n’a donc ni la lourdeur pathétique des démonstrations sociales du réalisateur britannique (Sweet Sixteen, The Navigators), ni la verve épique propre au grand style historique (Le Vent se lève). On retrouve davantage de légèreté, à la façon de La Part des anges, comédie qui récolta le Prix du jury au festival de Cannes 2012. Le film est d’ailleurs parcouru de saynètes burlesques, comme cette scène d’arrestation à l’humour chaplinesque, dans laquelle la mère se mue en touchante complice d’évasion du fils chéri. L’ensemble est léger, chantant, un parfum rendu possible par l’aspect anecdotique du sujet et par le recul historique qui met à distance et dédramatise les enjeux.

Mais le film n’en est pas moins profond. Ken Loach, Prix Lumière 2012, a l’habileté de réunir deux types de revendications, deux « gauches » pourrait-on dire,  que la tradition – sans doute à tort – a tendance à dissocier : la lutte sociale et la libération des mœurs. Car, s’il aspire simplement à gérer un lieu de réunion dans lequel on bavarde, enseigne et danse en s’affranchissant des règles morales, Jimmy Gralton devient rapidement le leader naturel d’un combat contre l’injuste expulsion d’une famille de paysans. Pour lutter contre les propriétaires terriens qui délogent arbitrairement de pauvres gens, c’est en effet à lui que l’on songe, lui qui est devenu une vedette locale parce qu’il représente une certaine liberté de parole. Car s’affranchir de Dieu et de la tradition, c’est aussi prendre congé du patron, du prêtre, du propriétaire et de tout type d’autorité qui s’impose verticalement. En cela, Loach ne fait aucune différence entre liberté et égalité, deux notions que la philosophie politique érige souvent en contradiction. Echanger, danser, jouir, c’est être humain. Défendre l’opprimé, combattre l’injustice, c’est encore être humain. Une belle piste de réflexion émanant du plus implacable pourfendeur du libéralisme.

Ce leadership nouveau de l’homme de divertissement, du héraut adulé, beau parleur et sympathique, dont on ne doute pas un seul instant de l’intégrité, nous rappelle les cas d’un Coluche ou de Beppe Grillo – populistes inassumés ? – qui s’emparèrent un temps de la voix du peuple. Une façon pour Loach d’observer toutes les contradictions de l’entrée en politique de personnalités populaires qui trouvent le fondement de leur légitimité non dans le débat politique mais dans le divertissement. De quoi faire de Jimmy Gralton un personnage plus trouble qu’il n’en a l’air. Mais était-ce dans les intentions du réalisateur ?

On ne s’attardera pas sur le manichéisme forcené du cinéaste – chez Loach les méchants sont très méchants, et les gentils très gentils – ni sur l’exploitation sans finesse du folklore irlandais. Toujours aussi habile à revendiquer la reprise en main de sa destinée par le peuple, comme à dénoncer les forces arbitraires qui se font passer pour naturelles, le réalisateur britannique adjoint une tonalité chantante et légère qui rend son message un peu plus digeste pour qui s’est lassé de son éternelle rengaine militante. Cinématographiquement, il y a parfois du mauvais, comme cette grotesque conclusion qui singe le « Oh Captain ! My Captain » du Cercle des poètes disparus, larmoyant hommage des disciples au leader qu’on exile, une fin qui embarrasse plus qu’elle n’émeut : si Ken Loach refuse tout lyrisme dans l’évocation de la misère sociale contemporaine, il s’en donne à cœur joie dès qu’il déplace son sujet dans l’histoire. De toute évidence, dans un cas comme dans l’autre, un juste milieu reste à trouver. Il est dommage de se quitter sur cette note de mauvais goût car, on l’a vu, le tout reste de bonne facture.

Enfin, il se dit que ce film serait le dernier du réalisateur. Si tel était le cas, une lecture plus affective s’imposera peut-être, celle d’une mise en abyme émue d’un réalisateur tiraillé entre un cinéma de lutte, didactique, militant et un cinéma de divertissement : comment, en effet, ne pas voir dans le sympathique personnage de Jimmy Gralton Ken Loach lui-même, tirant sa révérence après avoir usé de son maigre pouvoir d’homme de spectacle pour réveiller les consciences de ses congénères ? L’occasion, alors, pour votre auteur, de remercier un immense réalisateur qui fera terriblement défaut au cinéma. Salut l’artiste !

 

Date de sortie : 2 juillet 2014

Réalisé par : Ken Loach

Avec : Barry Ward, Simone Kirby, Andrew Scott

Durée : 1h49

Pays de production : Royaume-Uni, France

The post Jimmy’s Hall, Ken Loach appeared first on Les heures perdues.

]]>
http://www.lesheuresperdues.fr/jimmys-hall/feed/ 1