Une Nouvelle amie, François Ozon

Pas de risque de spoiler : tout le monde sait que la Nouvelle amie de François Ozon est un travesti, incarné par Romain Duris. Le suspense ne réside pas là, mais dans les multiples imbroglios sentimentaux que cette découverte va provoquer dans l’entourage du personnage. Un très beau film qui renoue avec l’esthétique du conte pour mieux parler d’amour. 

Claire et Laura se connaissent depuis l’enfance, elles rencontrent quelqu’un, se marient… puis Laura décède prématurément. A son enterrement, Claire (impressionnante Anaïs Demoustier), dévastée, promet de prendre soin de son mari et de sa petite fille. Ce qu’elle fera, bien sûr, mais pas tout à fait de la manière dont elle l’entendait. Une histoire d’adultère ? On pourrait s’y attendre, mais on est chez Ozon, et tout est bien plus retors. Préoccupée par l’état mental de David qui ne donne pas de nouvelles depuis l’enterrement, Claire s’introduit chez lui et le découvre donnant le biberon à la petite… habillé en femme. David passe rapidement à confesse : il a toujours aimé ça, se travestir, Laura l’acceptait bien, et depuis qu’elle est morte, il a replongé.

Ambiguïté, tel est le maître-mot du cinéma d’Ozon et Une nouvelle amie ne déroge pas à la règle : le travestissement est-il le signe d’un amour absolu, dans lequel on viendrait se confondre avec l’absent ? Est-ce le déguisement qui permet d’accomplir le travail de deuil ? Est-ce une façon d’aider le bébé à supporter l’absence de sa mère ? Ou est-ce plutôt la réalisation d’un fantasme plus ancien que la perte de l’être cher viendrait autoriser ? L’une des grandes habiletés du scénario repose sur ce lien fécond entre le deuil et le travestissement : les deux idées se mêlent, se confondent et empêchent toute interprétation univoque. La première séquence annonce bien cette esthétique du trouble : on maquille un visage, on habille un corps, mais à qui appartiennent-ils ? A une adolescente qui se prépare à sortir ? A une mariée prête à convoler ? Non… à une jeune femme destinée à la mise en bière. Les fausses-pistes font la matière du film et jouent avec les réflexes conditionnés du spectateur.

Ozon réussit aussi à déplacer la focale sans modifier le cadrage : alors qu’on l’envisageait au début comme le personnage secondaire, Claire prend de plus en plus de place, s’épaissit et concentre bientôt toute l’attention. On l’a pourtant bien lissé, ce personnage, pas un cheveu qui dépasse, pas une tache sur le col blanc, Claire est l’archétype de la jeune fille bien comme il faut. Et pourtant… Plus l’intrigue avance, et plus elle est troublante, plus troublante que le travelo même. Pourquoi se fait-elle complice d’un comportement qu’elle juge elle-même déviant, pervers ? Pourquoi cette « nouvelle amie » ? Est-ce un banal désir freudien ? Un désir morbide pour Laura, celle qu’elle a tant aimée ?

La séquence dans la boîte de nuit permet d’avancer une autre hypothèse. Dans ce lieu où les corps et les genres se mêlent dans une liberté complète, débarrassés de toute pression extérieure, les êtres se révèlent. Un travesti se tortille sur un play-back. Dolan nous a fait aimer « On ne change pas » de Céline Dion, Ozon nous émeut aux larmes sur « Naître une femme » de Nicole Croisille. Tout ce qui constitue le grotesque de la situation se trouve sublimé par la pureté des regards portés sur la scène : elle est magnifique, cette diva, et tous les freaks de la salle sont saisis. Mais au fil de la séquence, une évidence s’impose : au contact du travesti (joué tout en finesse par Romain Duris), c’est Claire qui devient femme. Un rouge à lèvres, un décolleté, une robe rouge, autant de signes d’une certaine féminité nouvellement conquise.

Cette esthétique du trouble, de l’ambivalence, a bien sûr une dimension politique : il n’y a pas de gens normaux, et d’autant moins ceux qui en ont l’apparence. A ceux qui voudraient abroger la loi sur le mariage homosexuel, Ozon répond par une image qui sert aussi de conclusion : un homme, une femme enceinte et un enfant s’éloignent en nous tournant le dos. Quelle est la relation qui les unit ? On n’en sait rien, et au fond, on s’en fout. Peu importe le lien, pourvu qu’il y ait l’amour.