La Cache, Christophe Boltanski

Construit comme le plateau d’un jeu de Cluedo, La Cache retrace l’histoire de la famille Boltanski en progressant pièce après pièce dans l’appartement de la Rue-de-Grenelle, en commençant par « son prolongement, son sas, sa partie mobile, sa chambre hors les murs, ses yeux, son globe oculaire », sa voiture, une fiat 500. Ce début, pour le moins surprenant, permet de brosser le portrait d’une famille soudée, qui ne s’extirpe de l’habitacle que « main dans la main, collés les uns aux autres », formant ainsi « un seul être, une espèce de gros mille-pattes » dont la colonne vertébrale serait « Mère-Grand ». Chapitre après chapitre, les pièces se succèdent et s’assemblent, et le lecteur s’invite dans cette famille peu ordinaire qui vit ainsi repliée sur elle-même : « Nous avions peur. De tout, de rien, des autres, de nous-mêmes. De la petite comme de la grande histoire. Des honnêtes gens qui, selon les circonstances, peuvent se muer en criminels. De la réversibilité des hommes et de la vie. Du pire, car il est toujours sür. Cette appréhension, ma famille me l’a transmise très tôt, presque à la naissance». Christophe Boltanski remonte dans un récit émouvant et drôle à la source de cette névrose familiale. Le roman autobiographique se fait témoignage et hommage, ode à cette grand-mère prête à tout pour protéger les siens. La Cache, Christophe Boltanski, 2017, éd. Gallimard, coll. Folio, 336 pages....

Un Amour impossible, Christine Angot

Après le père, la mère. Christine Angot retrace l’histoire de cette femme dans un portrait précis, efficace et sans pathos, qui est aussi une fine analyse des relations mère/fille et des mécanismes de domination sociale à travers le langage. A l’origine de chacune de nos vies, il y a ce hasard, cet événement qui fonde le roman familial : « Mon père et ma mère se sont rencontrés.… » Par cette phrase évidente et fondatrice qui ouvre le livre de Christine Angot, l’autobiographie devient fiction littéraire et s’inscrit dans la lignée des grands romans. L’auteure imagine, dans une reconstitution forcément hypothétique, la passion qui a uni ses parents, l’histoire d’amour dont elle est issue. Sur le modèle de La Princesse de Clèves. tout commence par le bal où ils deviennent un couple : « Il l’a invitée à danser, elle s’est levée…Ils se sont faufilés ».  Dans le petit milieu du quartier américain, c’est le début d’une idylle éphémère entre Rachel Schwartz, la dactylo de Châteauroux, et Pierre Angot, le grand bourgeois parisien traducteur à la base américaine. Il est touché par sa beauté et son élégance, elle est subjuguée par sa culture, son assurance et sa liberté d’esprit : « Elle découvrait un monde ». Des promenades en forêt, un week-end dans la Creuse, une semaine merveilleuse sur la Côte d’Azur – comme en contrepoint de l’effroyable Semaine de vacances de son précédent roman- Pierre s’éloigne et Christine vient au monde. Si le personnage du père était au cœur de L’Inceste et de Une semaine de vacances, c’est ici la mère qui prend la première place, cette petite femme méprisée, délaissée, qui retrouve toute sa grandeur. On ne peut qu’être touché par sa force, sa ténacité dans le portrait plein d’empathie et d’une précision sociologique qu’en brosse l’auteure. Il en fallait de...

Tigre! Tigre!, Margaux Fragoso

Quand Margaux fait la connaissance de Peter, elle a sept ans, lui cinquante et un. Ils se rencontrent à la piscine municipale. Devenue adulte, elle se rappelle son air enfantin, malgré les cheveux gris et les rides, au coin des yeux et de la mâchoire. Peu après, Peter invite la mère et la petite fille chez lui. Margaux découvre un joyeux capharnaüm : un jardin luxuriant, des animaux dociles, des malles pleines à craquer, remplies de déguisements et de jeux.  Peu à peu, les habitudes s’installent et toutes deux reviennent très régulièrement. Chez Peter, on bronze, on s’éclabousse, on engouffre des hot-dogs dégoulinants, et surtout, on invente des histoires, reprises et variations du même scénario dont on est, bien sûr, toujours l’héroïne. Margaux adore venir chez Peter, « parce que Peter est comme elle, juste plus grand, et qu’il peut faire des trucs qu’elle ne peut pas faire ». Dans le préambule au roman, Margaux Fragoso rapporte les propos d’une gardienne de prison rencontrée à l’occasion d’un reportage: « Passer du temps avec un pédophile est comme un shoot de drogue. C’est comme si les pédophiles vivaient dans une sorte de réalité fantastique, et ce fantastique contamine tout. Comme s’ils étaient eux-mêmes des enfants, mais pleins d’un savoir que les enfants n’ont pas. Leur imagination est plus puissante et ils peuvent bâtir des réalités que des petits enfants seraient incapables de rêver. Ils peuvent rendre le monde… extatique, d’une certaine façon. Quand c’est fini, pour ceux qui sont passés par là, c’est comme décrocher de l’héroïne, et pendant des années ils ne peuvent s’empêcher de poursuivre un fantôme, le fantôme de ce que ça leur faisait ». L’intérêt de ce récit autobiographique réside précisément dans le traitement de cette ambiguïté : le crime a souvent des allures d’histoire d’amour ; dans cette histoire,...