Underground Railroad, Colson Whitehead

Recommandé par Barack Obama1 ou encore Toni Morrison, couronné par le prix Pulitzer, Underground Railroad remporte tous les suffrages, et à raison. Colson Whitehead mêle Histoire et fiction dans une œuvre éclairante et nécessaire qui rappelle que la liberté reste un droit fragile, arraché de haute lutte par les noirs américains. Underground railroad est le récit saisissant de la fuite d’une jeune esclave, Cora, pour gagner les États libres du Nord. Elle emprunte pour cela un chemin de fer souterrain géré par un réseau clandestin d’hommes et de femmes abolitionnistes. Sous la plume de Colson Whitehead l’« underground railroad » prend vie. Historiquement, il s’agit d’une métaphore pour désigner des routes clandestines utilisées par les esclaves noirs américains pour gagner les États du Nord et le Canada. Environ 30 000 esclaves auraient ainsi été sauvés. Cette idée, l’auteur l’a gardée de son enfance – comme bon nombre d’écoliers américains-, persuadé alors qu’il existait bel et bien un chemin de fer souterrain. L’auteur s’amuse à brouiller les pistes : ainsi, l’un de ses personnages explique : « la plupart des gens croient que c’est une image, une figure de style […]. Le fameux chemin de fer souterrain. Mais je n’ai jamais été dupe. Le secret est sous nos pieds, depuis le début. » Cora n’a jamais connu la liberté. Elle est née esclave, fille et petite-fille d’esclave, dans une plantation de coton de Géorgie. Abandonnée par sa mère à l’âge de huit ans, elle est confrontée autant à la violence de ses pairs qu’à celle de ses maîtres et engage une lutte quotidienne pour sa survie. Lorsque Caesar lui propose de s’enfuir avec lui pour gagner les États libres du Nord, elle n’hésite pas longtemps. Commence alors pour elle une folle échappée et pour le lecteur un voyage aussi terrifiant qu’édifiant dans l’Amérique d’avant la guerre de Sécession. Le roman s’inscrit ainsi dans une longue tradition littéraire américaine de récits de voyage clandestin à la façon des hobos (vagabonds parcourant le pays à la recherche d’un travail en empruntant les trains de marchandises). Le roman est découpé en chapitres qui s’intéressent tour à tour à l’un ou l’autre des personnages, l’auteur explorant les motivations de chacun. Le point de vue du chasseur de prime qui traque Cora sans relâche, le terrible Mr Ridgeway, revient régulièrement et maintient le lecteur en haleine. Le lecteur apprend au fil du récit à connaître ce personnage et la raison de son acharnement à ramener, morts ou vifs, les esclaves en fuite. Voyageant comme la fugitive à travers les États, son regard est tout autre puisqu’il appartient à la classe des blancs dominants. Ce personnage presque démoniaque offre un contraste percutant avec les portraits des hommes du réseau clandestin qui risquent leur vie pour venir en aide aux « nègres marrons ». C’est une Amérique profondément duelle qui s’offre à nous et qui, malgré les années, l’est restée. Le succès de ce roman s’explique par la force de son récit et par le sentiment d’urgence qui l’anime. Rien n’est définitivement acquis en matière de droits et de libertés. Un chapitre particulièrement glaçant s’intéresse à la Caroline du Sud, État se revendiquant abolitionniste où se déroulent des programmes de recherche médicale : «La stérilisation contrôlée, la recherche sur les maladies transmissibles, le perfectionnement de nouvelles méthodes chirurgicales sur les inadaptés sociaux ». La Caroline du Nord quant à elle, effrayée de l’essor démographique de la population noire, décide que « la race noire n’existait pas, sinon au bout d’une corde. ». D’État en État, et toujours plus au Nord, de déconvenue en déconvenue, la jeune fille livre un combat qui semble sans fin pour simplement survivre. A ses côtés, le lecteur découvre un racisme profondément enraciné, une peur de l’autre qui conduit aux pires infamies, une noirceur de l’âme qui effraie encore une fois le livre refermé. Par bien des aspects, ce roman revêt une dimension universelle, dénonçant aussi bien l’esclavagisme que plus généralement toutes les formes d’oppression...

Qu’avons-nous fait de nos rêves ?, Jennifer Egan...

Je l’avoue, j’ai choisi de lire ce roman parce que j’ai été attirée par une campagne de presse efficace, présentant ce roman comme « une perfection absolue » (dixit le New-York Times, excusez du peu). Evidemment, le fait qu’il soit auréolé du prix Pulitzer a achevé de me convaincre. Pourquoi évoquer ainsi les raisons qui ont déterminé cette lecture ? Parce que j’ai eu l’impression, encore une fois, de m’être fait balader. En dépit de tous ces éloges, voilà un roman décevant: à trop vouloir en faire, on s’égare. Le roman de Jennifer Egan appartient à cette littérature américaine de l’après-11 Septembre qui dessine le visage sombre et anxiogène d’un pays rongé par un mal protéiforme : désastre écologique, libéralisme ravageur, perte des valeurs… La romancière choisit d’évoquer les désillusions existentielles de la génération des ex-seventies. Elle raconte les destins d’une myriade de personnages  gravitant tous plus ou moins autour de l’industrie du disque et fait du passage à l’ère numérique le point de départ d’une méditation sur le temps qui passe et qui emporte avec lui les rêves. Ainsi, Bennie, ancien punk passionné, devenu producteur de tubes insipides, rendus exsangues par les effets de la conversion numérique : « Bennie savait qu’il fabriquait de la merde. Trop limpide, trop aseptisé. La précision, la perfection, voilà le problème, elle vidait de substance tout ce qui se prenait dans les rets microscopiques de son système ». Pour rendre sensible ce sentiment de déclin et le contraste entre rêves et réalité, Jennifer Egan use de techniques romanesques empruntées tout à la fois aux feuilletons du XIXème siècle et aux séries télévisées contemporaines. Imitant la structure des sopranos, elle fait des allers retours constants entre les deux personnages principaux, Bennie et Sasha, et les personnages secondaires qui déambulent autour d’eux. Elle se refuse à toute...