La Femme au tableau, Simon Curtis août10

La Femme au tableau, Simon Curtis

A la mort de sa sœur, Maria Altmann, octogénaire charismatique et spirituelle établie à Los Angeles, se met en tête de récupérer cinq toiles de Gustav Klimt. Sa famille, des Juifs notables de la Vienne de l’entre-deux-guerres, en a été spoliée lors de l’annexion de l’Autriche par Hitler en 1938. Parmi ces trésors désormais possessions de l’Etat autrichien se trouve le célébrissime « Portrait d’Adèle », tante idôlatrée par Maria. Dans cette quête improbable, elle s’attache les services d’un jeune avocat américain, Randy Schönberg, petit-fils du musicien, qui va découvrir la nature profonde de l’humiliation subie par les Juifs à mesure qu’il explore ses propres origines. Il était à craindre que Simon Curtis s’abîme dans les poncifs du genre en livrant un énième mémorial des crimes nazis. Mais si le film respecte le cahier des charges du genre et frise par moment le déjà-vu, sa narration est efficace et son rythme impeccable. La mise en scène est sans fausse note et fourmille de bonnes idées. Helen Mirren, l’interprète de Maria, est sublime. Le mot est sans doute galvaudé, mais comment qualifier autrement ce charisme, cette force, cette dignité, cette drôlerie, cette charge émotionnelle évidente mais retenue, cette justesse, cette beauté ? La Femme au tableau se fonde sur le dialogue permanent entre deux époques. Au passé les faits et les souvenirs de Maria ; au présent le procès et les enjeux qui lui sont liés, pressions des gouvernements, de l’opinion publique, dédales administratifs et judiciaires. Dans cette perspective, le cinéaste se heurte à la difficulté de faire cohabiter les deux temporalités et recourt massivement aux flashbacks, dont il évite habilement les écueils : les nombreuses scènes du passé sont insérées avec pertinence et ne cèdent ni  à un tragique stérile, ni à l’exotisme béta du film d’époque. Mieux que...

Le Labyrinthe du silence, Giulio Ricciarelli mai26

Le Labyrinthe du silence, Giulio Ricciarelli

Entre 1963 et 1965 se tient le second procès d’Auschwitz au cours duquel 22 acteurs mineurs de l’Holocauste sont jugés pour des actes individuels. Giulio Ricciarelli fait le récit de la laborieuse instruction de ce procès historique qui tâcha d’alerter les consciences sur la responsabilité individuelle des « petits », enclins à diluer leur faute dans les rouages de la machine nazie. Johann Radmann est un jeune homme fraîchement nommé procureur à Francfort-sur-le-Main, et dont l’activité principale se limite à des délits mineurs. En cette année 1958, un journaliste, Thomas Gnielka, fait irruption dans le palais de justice et réclame qu’une instruction soit ouverte contre un ancien nazi. Ce dernier, responsable de crimes odieux à Auschwitz, coule désormais des jours tranquilles en tant que professeur. Mais Gnielka se heurte à l’indifférence générale, seul Radmann est intrigué. Le jeune homme entame une enquête et finit par être officiellement nommé à la tête d’une instruction à l’ampleur abyssale, puisqu’il doit recueillir toutes preuves utiles des crimes nazis à Auschwitz afin d’en condamner les auteurs. Après Phoenix de Christian Petzold, le cinéma allemand contemporain démontre une fois encore son intérêt pour les difficiles années qui suivent la Seconde Guerre mondiale. Comment pardonner ? Comment assumer les crimes commis par le voisin, l’oncle, ou même le père ? Radmann est d’abord le témoin d’une omerta générale, ou plutôt d’un déni. Comme l’en avise un collègue, toutes les guerres ont après tout leur lot de crimes, et l’histoire officielle est toujours celle des vainqueurs. En cela, l’Allemagne n’a pas à payer encore ; il est temps de passer à autre chose. Une posture confortable qui se double d’une ignorance terrible. Comme en France à la même époque, l’Allemand moyen ignore tout de l’holocauste, et le mot Auschwitz n’évoque rien à ses oreilles. Les...

Jimmy’s Hall, Ken Loach juil15

Jimmy’s Hall, Ken Loach

1932 en Irlande, Jimmy Gralton revient d’un exil de dix ans aux Etats-Unis. Dans son comté de Leitrim, il retrouve une mère affectueuse et les amis avec lesquels il a fondé, quelques années auparavant, un dancing très populaire qui joua un important rôle social au sein de la communauté. Bien vite, les jeunes du pays, séduits par les récits de cet âge d’or qu’ils n’ont pas connu, pressent Jimmy de rouvrir le Hall. Il ne faudra pas le prier longtemps. Mais, rapidement perçu comme un lieu de déchéance morale, le lieu est combattu par l’autorité religieuse du coin, ainsi que par les potentats locaux organisés en obscures milices. Avec ce Jimmy’s Hall, Ken Loach poursuit son investigation socio-historique sur l’indépendance irlandaise. Contrairement au Vent se lève, toutefois, son dernier film n’a pas l’ambition de saisir l’Histoire à bras le corps. Il s’agit cette fois d’exploiter un fait divers, d’illustrer par l’anecdote des enjeux politiques, sociaux et moraux. A travers les mésaventures des partisans du dancing, Ken Loach étudie d’un œil affectueux les répercussions de la grande Histoire sur la vie d’une communauté. Jimmy n’est pas un grand révolutionnaire, mais son entreprise, bien qu’apparemment dénuée de sens politique, insuffle un vent de liberté à une société corsetée. Cet opus n’a donc ni la lourdeur pathétique des démonstrations sociales du réalisateur britannique (Sweet Sixteen, The Navigators), ni la verve épique propre au grand style historique (Le Vent se lève). On retrouve davantage de légèreté, à la façon de La Part des anges, comédie qui récolta le Prix du jury au festival de Cannes 2012. Le film est d’ailleurs parcouru de saynètes burlesques, comme cette scène d’arrestation à l’humour chaplinesque, dans laquelle la mère se mue en touchante complice d’évasion du fils chéri. L’ensemble est léger, chantant,...

fév01

Lincoln, Steven Spielberg

Avec Lincoln, Steven Spielberg renoue avec son penchant pour la grande Histoire. Après avoir filmé le débarquement dans Il faut sauver le soldat Ryan et traité l’esclavage dans Amistad, le voici qui s’attèle à la figure du légendaire président des Etats-Unis au moment du vote du Treizième amendement abolissant l’esclavage. Si Lincoln est une chronique réussie de la vie politique américaine, le traitement de la matière historique pose problème. Qu’il le veuille ou non, le réalisateur aux prises avec ce genre livre au public une leçon d’Histoire. Il doit à celui-ci de marquer une distance avec son objet d’étude et de l’interroger. Sans cela, il prend le risque d’influencer insidieusement le spectateur en le délestant de son sens critique. Ne nous trompons pas : il s’agit ici d’essayer de distinguer le biopic de qualité de l’apologie facile,  banale et peu stimulante.  Et, malheureusement, ce Lincoln appartient à la seconde catégorie. Spielberg ne fait pas l’économie de pathos ni d’effets grossiers. Il souligne les émotions à grandes doses de musique, joue sur les points de vue, manie à sa guise les tempéraments de ses personnages, berce finalement le spectateur là où il faudrait le tenir éveiller et nourrir sa réflexion. Ces procédés sont contestables dès lors que l’on traite d’Histoire puisqu’ils dissimulent au moins un point de vue culturellement marqué, au plus une interprétation personnelle. Le genre historique réclame de ne pas virer au panégyrique sans quoi il floue le spectateur : il se fait passer pour un travail d’historien alors qu’il n’est qu’un film de divertissement. Cet écueil accompagne en outre une conception étriquée de l’Histoire. On peut notamment déplorer les excès de solennité dans des discours à l’occasion desquels le temps semble s’arrêter. Encore, Lincoln disparaît dans l’ombre, prend la pose, change d’opinion dans un...

jan24

Zero Dark Thirty, Kathryn Bigelow

Zero Dark Thirty est le récit de la traque d’Oussama Ben Laden par un groupe de la C.I.A. jusqu’à son exécution en 2011. Un agent particulièrement tenace, Maya, enjoint ce groupe à ne pas abandonner l’enquête et parvient à remonter la piste jusqu’à la demeure fortifiée d’Abbottabad. Il y avait fort à craindre d’un tel sujet tant il était aisé de s’y fourvoyer. Cependant, Kathryn Bigelow réalise une œuvre haletante qui brille par son intelligence et sa subtilité. La première qualité du film est d’éviter tout jugement moralisateur. Zero Dark Thirty n’est pas un film politique et n’a pas de prétention didactique. On a beaucoup glosé sur la représentation de la torture – certains parlent de polémique – mais l’on a eu tort d’affirmer qu’il s’agissait là d’un thème central du film. Car si la torture est présente, c’est simplement parce qu’elle fait partie de l’enquête. Bigelow prend soin de montrer les faits tels qu’ils sont et laisse les spectateurs juger par eux-mêmes. L’acte de torture n’est donc pas mis en scène pour apitoyer ou dégoûter. Les tortionnaires ne sont ni dénoncés ni excusés. Le spécialiste des « interrogatoires », Dan, joué par Jason Clarke, est plutôt sympathique, en tout cas banal. Il n’est ni un fonctionnaire zélé, obtus, type Eichmann, ni un sadique type Klaus Barbie. Il fait le sale boulot jusqu’à éprouver le besoin de se retirer. Belle audace qui assure que la torture n’est pas le fait d’êtres immoraux, lâches ou obéissants, mais qu’elle nécessite une accoutumance pour évacuer le dégoût qu’elle suscite d’abord et qui toujours est susceptible de réapparaître. L’objectif moral que la torture paraît viser tend à la rendre acceptable, voire nécessaire aux yeux de ses exécutants qui s’habituent à elle assez rapidement. Interdiction, donc, de juger l’humanité de ceux...