Amy, Asif Kapadia juil05

Amy, Asif Kapadia

Asif Kapadia a voulu faire « un film honnête et respectueux envers Amy ». Il a fait mieux. Présenté à Cannes hors compétition, le film retrace la vie d’Amy Winehouse, de son adolescence dans la banlieue nord de Londres à sa mort le 21 Juillet 2011. Le titre original « The girl behind the name » définit clairement les intentions du réalisateur : raconter la jeune fille qui se cache derrière l’icône. Il en résulte un voyage bouleversant au cœur d’une existence hors norme. Superbe.  Dotée d’un talent unique au sein de sa génération, Amy Winehouse capte immédiatement l’attention du monde entier. Authentique artiste jazz, elle sublime ses failles personnelles grâce à ses dons de composition et d’interprétation. Cependant, l’équilibre est fragile : l’attention permanente des médias et une vie personnelle très tourmentée la conduisent aux pires excès. Elle accède bientôt au « club des 27 » en rejoignant toutes ces figures de la musique mortes à 27 ans, Jimi Hendrix, Janis Joplin ou encore Jim Morrison. Le documentaire d’Asif Kapadia est d’une efficacité redoutable : à chaque instant, le spectateur se tient sur un fil entre émotion et distance. Les premières images du film pouvaient laisser penser que le réalisateur allait céder à la facilité : des vidéos amateurs nous projettent dans la maison, la chambre de l’adolescence, elles nous invitent aux anniversaires et aux réunions de famille. Ces instants volés avec une petite caméra grand public du milieu des années 90 pourraient être les nôtres, l’identification est aisée. Pour autant, le réalisateur ne sombre jamais dans le pathos. Le film est rythmé par de nombreux témoignages des proches d’Amy Winehouse, la plupart ont été enregistrés dans le cadre de la préparation du documentaire, et donc, après le décès de la chanteuse. Même si les voix sont lourdes, elles ne sont jamais larmoyantes. Les...

Ma Vie avec Liberace, Steven Soderbergh sept21

Ma Vie avec Liberace, Steven Soderbergh

Pour son 25ème long métrage, Steven Soderbergh nous présente Liberace, sorte d’hybride entre l’inoxydable Franck Michael et le mythique Zaza de la Cage aux folles. Liberace est une vedette extrêmement populaire du music-hall américain des années 60 et 70, homosexuel exubérant, bête de scène et roi incontestable du kitsch. Soderbergh se focalise sur la fin de carrière de la star, quand, vieillissante, elle vit une passion amoureuse avec Scott Thorson, éphèbe blondinet et musculeux, issu d’un milieu social nettement plus modeste. Le biopic est honnête sans être transcendant, drôle sans être hilarant, malin sans être brillant. Un assez bon divertissement tout au plus. La première apparition de Liberace expédie la question de son talent : il est immense. Seul sur scène, ses mains virtuoses courent sur le clavier de son piano. Il s’arrête en plein morceau pour haranguer la foule : alors que sa main gauche court toujours,  il fait rire son public, lui explique certaines techniques de son boogie-woogie, joue avec lui. Face à ses admirateurs, Liberace est une bête, et, comme nous, Scott est bluffé par ce charisme et cette aisance. Et il y a le strass, les paillettes… De bout en bout, Ma vie avec Liberace  adopte joyeusement le kitsch revendiqué par son héros. Âmes sensibles au mauvais goût, restez chez vous. Soderbergh choisit de concentrer les regards sur la relation problématique que vivent Scott et Liberace. Au début du film, le réalisateur prend soin de mettre en scène le prédécesseur du jeune homme et suggère ainsi que les amants sont interchangeables aux yeux de la vedette. Le personnel domestique du pianiste nous confirme rapidement que Scott n’est ni le premier, ni le dernier à s’ébattre dans les draps de soie de la villa pharaonique de Las Vegas. Dès lors, tout...

fév01

Lincoln, Steven Spielberg

Avec Lincoln, Steven Spielberg renoue avec son penchant pour la grande Histoire. Après avoir filmé le débarquement dans Il faut sauver le soldat Ryan et traité l’esclavage dans Amistad, le voici qui s’attèle à la figure du légendaire président des Etats-Unis au moment du vote du Treizième amendement abolissant l’esclavage. Si Lincoln est une chronique réussie de la vie politique américaine, le traitement de la matière historique pose problème. Qu’il le veuille ou non, le réalisateur aux prises avec ce genre livre au public une leçon d’Histoire. Il doit à celui-ci de marquer une distance avec son objet d’étude et de l’interroger. Sans cela, il prend le risque d’influencer insidieusement le spectateur en le délestant de son sens critique. Ne nous trompons pas : il s’agit ici d’essayer de distinguer le biopic de qualité de l’apologie facile,  banale et peu stimulante.  Et, malheureusement, ce Lincoln appartient à la seconde catégorie. Spielberg ne fait pas l’économie de pathos ni d’effets grossiers. Il souligne les émotions à grandes doses de musique, joue sur les points de vue, manie à sa guise les tempéraments de ses personnages, berce finalement le spectateur là où il faudrait le tenir éveiller et nourrir sa réflexion. Ces procédés sont contestables dès lors que l’on traite d’Histoire puisqu’ils dissimulent au moins un point de vue culturellement marqué, au plus une interprétation personnelle. Le genre historique réclame de ne pas virer au panégyrique sans quoi il floue le spectateur : il se fait passer pour un travail d’historien alors qu’il n’est qu’un film de divertissement. Cet écueil accompagne en outre une conception étriquée de l’Histoire. On peut notamment déplorer les excès de solennité dans des discours à l’occasion desquels le temps semble s’arrêter. Encore, Lincoln disparaît dans l’ombre, prend la pose, change d’opinion dans un...