Par les routes, Sylvain Prudhomme

Roman fluide et prenant, Par les routes de Sylvain Prudhomme évoque, à travers l’histoire croisée de deux amis, la multiplicité des possibles et les aspirations contraires.

Sacha, écrivain parisien, la quarantaine, décide de tout quitter. « Envie de table rase. De concentration. De calme. » Il vide ses placards et ses étagères, part avec deux sacs de livres et de vêtements dans un meublé à V., petite ville du Sud-Est de la France. « En route pour la vie que je voulais. Ramassée. Sobre. Dense. » Mais il y retrouve par hasard un ancien ami perdu de vue depuis depuis dix-sept ans. Apparemment installé – une femme, un enfant, une maison (en location) – celui qu’il nomme « l’autostoppeur » est régulièrement pris de l’envie de partir à travers la France en auto-stop. Au cours de ses voyages, de ses échappées, il envoie des cartes postales et des polaroïds, portraits des automobilistes qu’il a rencontrés. Peu à peu, les liens se tissent entre Sacha et la famille de son ami, sa femme Marie, son fils Agustin; Sacha devient de plus en plus présent, l’autostoppeur, de plus en plus absent; il s’éloigne jusqu’à disparaître.

Le propos du livre est cependant moins de raconter une histoire d’amour qu’une histoire d’amitié, on pourrait presque dire de gémellité. Sacha et l’autostoppeur, celui qui reste et celui qui part, sont à la fois proches et opposés. Leurs désirs semblent contraires mais dans les deux cas il s’agit de liberté, d’indépendance, de solitude et de rencontres nouvelles. On peut même parfois se demander, puisque l’auto-stoppeur n’est jamais nommé, s’ils ne sont pas au fond qu’un seul et même personnage, incarnant les facettes contradictoires d’un même individu. Comme dans le Famous Blue Raincoat de Leonard Cohen, cet ami ne serait-il qu’un double « une figure de sa jeunesse, de ses années de vagabond (…) l’homme qu’il n’est plus et qu’il revoit avec un mélange de tendresse et de défi » ? Ecrire ou vivre, partir ou rester, est-là le dilemme? Celui qui reste écrit, il invente d’autres existences et des voyages imaginaires dans son roman intitulé La Mélancolie des paquebots; celui qui part photographie pour fixer des existences et des moments éphémères sur le papier.

Au fil de la plume et du récit, on se laisse porter par la prose simple et lisse de Sylvain Prudhomme, débarrassée de l’inutile comme voudrait l’être la vie de Sacha, animée parfois d’un souffle lyrique quand le narrateur célèbre les routes et les paysages de France, joue avec la poésie des noms de villages qui deviennent un nouveau langage : « Il y avait des semaines où il était d’humeur sombre : Aspres-lès-Corps, L’Epine, Soucy, Aiguilles. Des semaines où au contraire la beauté du monde l’éblouissait : Bellaffaire, Beausoleil, Beaulieu, Bonson, Beauregard-de-Terrasson, Allenjoie, Aubaine.» Il y a du road movie dans ce récit, un road movie des autoroutes et des départementales, des aires de repos et des zones commerciales : « le flux ininterrompu des forêts, des champs, des remblais inévitablement boisés des mêmes hêtres et des mêmes charmes, (…) les mêmes vignes aux ceps déplumés par l’automne, les mêmes champs d’artichauts gris pâle, les mêmes allées de luzerne, les mêmes guérets, les mêmes étendues bâchées longues bandes de plastique noir ou blanc, les mêmes vaches, les mêmes bocages, les mêmes rideaux de peupliers coupe-vent, les mêmes clochers de villages au loin, les mêmes panneaux criards de zones commerciales traversées sous un ciel bas, les mêmes panneaux d’entrée et de sortie de ville … La France. »

On glisse peu à peu vers l’utopie heureuse quand ceux qui n’auraient jamais dû se croiser se rencontrent grâce à l’autostoppeur, le temps d’un week-end. Dans cette quête impossible et fantasmatique du vide, de l’absolue disponibilité, il y a des moments de doute et des moments de grâce. Et toujours un grand plaisir de lecture.

Par les routes, Sylvain Prudhomme, l’arbalète Gallimard, 2019, 295 pages.