Nord-Est, Antoine Choplin

Plaisir en cette rentrée littéraire de retrouver Antoine Choplin dans les jolies éditions de La fosse aux Ours. Nord-Est, son dernier roman, reprend les thèmes qui lui sont chers – la catastrophe, la place de l’Art, les rapports humains – à travers le récit d’une aventure intemporelle et universelle.

Ils sont quatre : Garri, Emmet, Jamarr et Saul qui décident de quitter le camp pour essayer de gagner à pied « les longues et douces plaines du nord-est », comme une terre promise lointaine au-delà des montagnes. Rusla, qui reproduit les pétroglyphes gravés par les anciens et les sauve de l’oubli, se joint ensuite à eux; puis Tayna, rencontrée dans le premier village traversé. Ils étaient paysan, maçon, écrivain ou sage-femme. Chacun a son caractère – meneur, introverti, écervelé ou posé -, ses passions, ses secrets.

Que s’est-il passé? Que fuient-ils? Que cherchent-ils? On l’ignore, comme on ignore toujours le lieu et l’époque. On sait seulement qu’il y a eu un « avant », avant les incendies qui ont tout ravagé; à présent la population est répartie dans des camps, ravitaillée par des cantiniers. Ils croisent un cheval blessé, un berger fou qui ne parle plus que par bribes de mots, traversent des villages en ruines. Ils avancent avec difficulté, sous le soleil ou dans la tempête, gravissent la montagne encordés, descendent les pierrées dans une quête sans cesse recommencée : « Tu commences par monter, longtemps. Et quand t’arrives en haut de ce qui te fermait l’horizon, tu vois une nouvelle montagne se dresser entre toi et l’horizon(…) et quand t’arrives en haut de cette deuxième montagne, t’en découvres encore une autre qui te barre encore les perspectives. Et, à la fin, l’horizon, le vrai, celui qui te tire le regard au lointain (…) c’est comme si tu t’arrêtais d’y croire. » Avec leurs différences, leur maladresse et leur ténacité, ils incarnent l’humanité, « cette vaillance à l’oeuvre malgré tout », capable de solidarité, d’actions inutiles et surtout de rêves. Une humanité qui a besoin d’un but, aussi utopique soit-il : « ç’a été les plaines, ç’aurait pu être autre chose, ailleurs, d’un autre genre. Comme une idée, un truc auquel t’accrocher. »

Antoine Choplin écrit sur la crête, dans une langue sobre et fluide. Il sait insérer le dialogue à la narration, décrire avec précision, sans jamais tout dire ni trop dire. Le lecteur est pris, suspendu au récit, touché par les personnages dans ce road-movie métaphysique qui parle de toutes les migrations et de tous les espoirs.

Nord-Est, Antoine Choplin, La fosse aux ours, 2020, 206 pages.