les Nouveaux Sauvages, Damian Szifron

Les Nouveaux Sauvages, de Damian Szifron, est une œuvre ambitieuse qui se confronte au genre casse-gueule du film à sketchs. A la volonté affichée de créer un moment de jubilation s’ajoute une prétention critique peu aboutie.

Damian Szifron réalise une série de courts-métrages qui suivent un principe identique : à partir de situations quotidiennes génératrices d’exaspérations plus ou moins légitimes, il met en scène des personnages qui rompent brusquement avec les codes sociaux et laissent éclater leur colère de façon complètement irrationnelle. Avec un tel programme, on s’attend évidemment à une critique sociale en règle, celle d’un monde dans lequel on reste corseté et où l’on est condamné à supporter violences quotidiennes, agressions sociales, injustices et autres mesquineries.

Ce qui est d’abord pointé du doigt, c’est cet impératif d’obtenir des succès pour avoir l’impression de réussir sa vie. Une morale libérale qui suppose bien sûr qu’il y ait des perdants. Et c’est un perdant champion du monde qui ouvre le bal, un certain Gabriel Pasternak, jeune homme qui a tout raté, sa scolarité, sa vie sentimentale, sa vocation d’artiste. Un loser sublime, donc, qui prend une revanche aussi hilarante que radicale sur sa pathétique destinée. Ce prologue génial est de loin la plus grande réussite du film qui dès lors va decrescendo et laisse parfois indifférent.

Chacun des personnages façonnés par le cinéaste argentin renoue donc avec sa part bestiale et fait la peau du salaud qui lui pourrit la vie : le businessman pressé qui colle et klaxonne dans sa grosse berline, l’insupportable guichetier de la fourrière, blasé et imperméable à toute requête, l’usurier sans scrupule et imbu de sa personne… La cruauté et la trivialité (l’un des personnages défèque sur un pare-brise) dont font preuve les enragés sonnent comme l’expression hilarante de pulsions profondément refoulées par la nécessité de vivre ensemble et d’accepter les codes sociaux. Cependant les « nouveaux sauvages » ne sont peut-être pas ceux qui se rebellent, mais bien leurs victimes, petits soldats ordinaires d’un ordre oppressant et injuste dans lequel règne l’absence d’empathie.

Or, les rébellions ne portent presque jamais contre un système, mais contre les individus qui en sont les pitoyables expressions : égoïstes, crâneurs, subalternes zélés… En cela, le film a quelque chose de dérangeant. Bien qu’évidemment politique en son cœur, le propos finit constamment en queue de poisson en évitant soigneusement d’identifier tout à fait les causes du mal-être existentiel, et le côté « bête et méchant » devient assez rapidement redondant et plutôt creux. Loin d’être vraiment subversive, la morale du film, à bien y regarder, est même paradoxalement consensuelle. Chaque acte de rébellion débouche en effet sur un crime. Et, surtout, chaque révolté est risible. Que reste-t-il de leurs gestes fous ? Rien, mais c’était drôle, merci. Damian Szifron balaie d’un revers de la main la possible légitimité de ces révoltes et se moque ouvertement, quoiqu’avec attendrissement, de ces initiatives malheureuses. On a beau comprendre et pardonner ces excentriques dérapages, il n’en demeure pas moins qu’ils sont inutiles et qu’il reste nécessaire de s’accommoder des quelques désagréments de la vie. Il y a donc un certain cynisme qui parcourt le film, dont l’apogée est atteint lorsqu’un père richissime paie son jardinier pour qu’il aille en prison à la place de son fils, responsable d’homicide involontaire et de délit de fuite. Là où une critique acerbe aurait pu viser un système à la morale piteuse où le faible finit toujours par souffrir, le réalisateur préfère rire aveuglément de la nature humaine sans faire de distinction : le jardinier participe à l’étonnante machination qui se joue pour maquiller le crime du fils, et de laquelle chacun tire allègrement sa part du gâteau ; crotale parmi les crotales qui aura lui aussi son compte.

Alors, que reste-t-il de tout cela ? Pas grand chose, si ce n’est un rire gras, cathartique et cynique à souhait. Hélas ? Tant mieux ? Chacun se fera son avis !

 

Date de sortie : 14 janvier 2015

Réalisé par : Damian Szifron

Avec : Ricardo Darin, Oscar Martinez, Leonardo Sbaraglia

Durée : 2h02

Pays de production : Argentine, Espagne