Inside Llewyn Davis, Ethan & Joel Coen

How does it feel
To be on your own
With no direction home
Like a complete unknown
Like a rolling stone ?(*)

 

Pour composer le personnage de Llewyn Davis, les frères Coen se seraient inspirés du guitariste-chanteur folk du début des années 60, Dave Van Ronk, dont le surnom, « the Mayor of MacDougal Street », dit bien l’influence qu’il avait dans le milieu musical du Greenwich village de l’époque. A l’inverse, Llewyn Davis n’est personne dans ce milieu, ou presque. Les réalisateurs choisissent symboliquement de le flanquer du chat de ses amis, échappé de leur domicile, et dont le nom est « Ulysse », lequel, dans le récit d’Homère, se fait aussi appeler « personne ». Et comme Ulysse, Davis va faire un long voyage.

Llewyn Davis est un loser magnifique, un rambler sans le sou si souvent dépeint par les folkeux des 60’. Rien ne lui réussit et, dès les premières notes de la chanson inaugurale, il demande à mourir, à être pendu (Hang Me oh hang me), lui qui, bien qu’assez jeune, semble vieux de tous ses échecs accumulés. Dès le début de cet étrange objet cinématographique, Llewyn Davis est seul. Il chante seul, il se réveille seul dans un appartement qui n’est pas le sien. Il court après la reconnaissance artistique, il court après un lit, un canapé, un endroit où dormir quelques heures avant de retourner à sa vie de galère. Au milieu du film, il tente sa chance à Chicago auprès d’Albert Grossman, Le grand producteur folk de l’époque. Mais comme à peu près tout le monde dans sa vie, Grossman ne réagit guère à la grâce de sa musique : personne ne croit vraiment en lui. Mais lui-même, croit-il en qui que ce soit ?

Inside Llewyn Davis : le film parle de lui, certes, mais surtout, il adopte son regard sur le monde et sur la culture qui l’entoure. Les frères Coen n’y vont pas de main morte pour nous faire entendre combien, à côté du talent brut de Davis, l’environnement musical est un peu superficiel et nigaud. Ainsi de son couple d’amis Jim et Jean, qui rappellent les très « fleurs bleues » Peter Paul and Mary ; ainsi de cette chanson qu’il enregistre pour quelques dollars (Please Mr Kennedy), une bagatelle idiote, bien loin de l’exploration de l’intimité et de la profonde mélancolie que, lui, délivre à travers ses interprétations.

Les frères Coen ont le chic pour réaliser d’étranges morceaux de cinéma qu’on ne saurait vraiment qualifier : Inside Llewyn Davis n’est pas un biopic musical, malgré les premières images (gros plan sur un beau micro estampillé rétro, douce lumière blanche sur le visage de Llewyn qui chante « Hang Me Oh Hang Me »). Ce n’est pas non plus – mais alors pas du tout – un hymne à la musique folk et au Greenwich Village de l’époque. Avec Llewyn Davis, on arpente un New York sombre, glacial et froid, à l’instar de cette lumière crue qui irradie tout le film. On est très loin d’une vision angélique de ce village des années 60 formant une communauté serrée où les talents se révèlent à longueur de journée. Inside Llewyn Davis n’est pas un road movie, malgré l’hallucinant trajet de New York à Chicago qu’entreprend le jeune artiste avec un ersatz de James Dean mutique et un jazzman héroïnoman qui déteste le folk et ses harmonies faciles… Non, comme le laissent entendre les scènes initiale et finale, Inside Llewyn Davis est un  périple sans fin, une longue errance, magnifique et désespérée.

 

Date de sortie : 6 novembre 2013

Réalisé par : Ethan et Joël Coen

Avec : Oscar Isaac, Carey Mulligan, John Goodman, Justin Timberlake…

Durée : 105 min.

Pays de production : USA

 

* Refrain de Like a Rolling stone, Bob Dylan 1965. Le rédacteur de cet article, n’étant pas traducteur, propose une version française très libre de ce texte !

Qu’est-ce que ça fait / d’être livré à soi-même / sans chez-soi à l’horizon / comme un complet inconnu / comme ces pierres qui roulent ?