Gravity, Alfonso Cuaron

Alors que l’équipe d’astronautes de la navette Explorer est en mission de maintenance sur Hubble, un satellite russe est détruit par un missile. Grave conséquence : les débris occasionnés commencent à tourner autour de la Terre et détruisent tout ce qu’ils rencontrent, augmentant sous l’effet d’une réaction en chaîne la masse de ces débris. Toute l’équipe d’Explorer est décimée, sauf deux astronautes alors en sortie extravéhiculaire : Matt Kowalski, campé par George Clooney, commandant chevronné de la mission, et Ryan Stone, astronaute débutante jouée par l’étonnante Sandra Bullock. Commence alors une mission de survie pour ces deux-là, équipés de leurs seules combinaisons et perdus au milieu de l’immensité spatiale.

Dès la scène d’ouverture, Alfonso Cuaron donne le ton : à l’occasion d’un plan-séquence interminable et sublime, le réalisateur mexicain nous plonge en orbite. Plongée visuelle d’abord, avec ces magnifiques paysages terrestres qui apparaissent et défilent inopinément, ces vues parcellaires sur le satellite et la navette, sur les astronautes expérimentés qui s’amusent de l’apesanteur. Plongée auditive ensuite, avec la voix off d’Ed Harris, posée, sereine, qui guide la mission depuis Houston, avec les facéties de Kowalski, les soupirs et les inquiétudes de Stone et, surtout, cette surdité, ce vide dans lequel Cuaron nous a plongés avant même la première image du film grâce à un vacarme inharmonieux subitement interrompu. A cette occasion, notons d’emblée la justesse et le génie de la bande son de Gravity, toujours au service de l’image, toute faite de distorsions, de résonnances, de changements de rythmes et d’harmonies déstructurées.

Si Cuaron nous livre ici du grand cinéma, c’est d’abord parce qu’il crée une expérience esthétique hors norme. Au long de cette odyssée, la ligne narrative n’a finalement que peu d’intérêt (Bullock et Clooney tâchent de se sauver en regagnant d’autres stations orbitales afin de retourner sur Terre).  Ce qui tient le film, c’est cette asphyxie véritable qui étreint le spectateur, cette sensation que lui aussi joue sa vie, ce sentiment partagé d’apesanteur, de vide. Dans le même temps, il y a cette contemplation à laquelle, alors que se joue le drame, on n’a ni le temps ni l’impudeur de se laisser aller complètement. Mais on s’y jette malgré tout, pris dans ce dilemme entre jouissance visuelle et tension nerveuse.

Gravity est donc un film éperdument contemplatif alors même que, contrairement à des sommets du genre tels que 2001, Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick ou encore le très injustement mésestimé Sunshine de Danny Boyle, jamais il ne se présente comme tel. En cela, plus que ses prédécesseurs, Alfonso Cuaron parvient à saisir l’essence de l’espace, où la tension, l’angoisse et la mort sont les ressorts qui donnent une saveur plus juste à la contemplation de ce lieu fantasmé. Celle-ci ne peut être séparée de l’expérience qu’on en fait, d’où l’extrême nécessité d’adjoindre une narration pure au tableau. Ainsi toute action, tout événement sert l’esthétique générale du film : un corps qui se perd dans le vide, une main qui se raccroche in extremis  à un échelon, une corde qui se tend, des larmes qui flottent…

Dans son souci de rendre justice à l’expérience esthétique de l’espace, de la mettre en valeur comme l’aurait fait un peintre impressionniste, il n’est pas étonnant que Cuaron respecte avec soin les lois naturelles de la physique. A ce propos, l’utilisation de la 3D a rarement été aussi légitime, donc réussie. L’énergie cinétique, les mouvements, les forces, les inerties, les rebonds des corps, leurs interactions, leurs trajectoires, tout est étudié et méticuleusement respecté. Il est savoureux d’observer combien la physique se met au service d’une beauté pure par ce ballet aérien, poétique et harmonieux. Cette rigueur scientifique fait de Gravity un film étonnamment naturaliste, quand bien même il a tout du film de science fiction.

Il était inutile de gâcher tout cela par ces quelques dialogues aussi ringards qu’ineptes : l’expérience métaphysique ne nécessitait aucunement qu’on la surligne à grands coups de Stabilo. Dans Gravity, l’image seule est éloquente. Si quelques passages sont réussis (on pense à ce monologue désespéré de Stone, lorsqu’elle se rend compte que la voix qu’elle entend par radio n’est que celle d’un homme sur Terre qui joue avec son poste personnel), d’autres frisent le grotesque. Ainsi, le développement sur la fille morte de Stone est un artifice pataud, une fausse bonne idée. Alfonso Cuaron n’est pas non plus parvenu à se départir d’un mauvais goût hollywoodien dans la conduite générale de son scénario. Ce sont là les immenses défauts du film, ceux qui l’empêchent d’être un chef d’œuvre. Gravity n’en demeure pas moins un grand film qu’il faut voir à tout prix. En salle, s’il vous plaît, pour profiter de ses qualités sonores et de la 3D.

 

Date de sortie : 23 octobre 2013

Réalisé par : Alfonso Cuaron

Avec : Sandra Bullock, George Clooney

Durée : 1h30

Pays de production : Etats-Unis, Royaume Uni