The Revenant, Alejandro Gonzalez Inarritu Fév26

The Revenant, Alejandro Gonzalez Inarritu

Un trappeur lutte pour sa survie dans un western enneigé. Après de belles séquences initiales, le dernier film d’Inarritu, engeance cachée de Mel Gibson et de Quentin Tarantino, s’abîme dans le grotesque. Leonardo DiCaprio réchappe de justesse à un massacre par des Indiens. LDC ne réchappe pas à l’attaque d’un ours (très réaliste, whaou). Mais des lambeaux de son corps bougent encore. Alors successivement ces lambeaux sont enterrés vivants, descendent les chutes du Niagara, se recousent à la braise ardente, errent dans la vastitude glacée, tombent d’une falaise à cheval, piquent un roupillon dans le cheval (dans le cheval, whaou), rêvent d’une église et d’un bifteck. Enfin, revenu d’entre sa charpie, LDC fiche la raclée qu’il mérite au fils de chienne qui a tué son fils. On reconnaît là aisément un chef d’œuvre, en effet : on y joue du violoncelle (« de la contrebasse » selon les fayots du premier rang) on y cite d’autres chefs d’oeuvre (« Sarafian. Non : Tarkovski, Herzog, Lubitsch ! ») le grand acteur souffre. Rampe. Bave, éructe, gît, tremblote, pâlit, bleuit, bref : le grand acteur en chie sa race et ramène l’Oscar avec les dents. on y renverse des gouttes de sang sur de la neige. on y renverse des cuves de sang sur des tonnes de neige. on y montre de très beaux sapins (« des épicéas » (ils vont la fermer ?)). on y opprime des Indiens très bien. Des gros plans, nombreux, permettent de faire connaissance avec les trous de nez de LDC (choisir plutôt une salle petite, un petit écran, et sans premier rang). Puis on rencontre Dieu. C’est un écureuil. Ou bien c’est un arbre. Ou alors c’est du poulet ? Date de sortie : 24 février 2016 Réalisé par : Alejandro Gonzalez Inarritu Avec : Léonardo DiCaprio, Tom Hardy, Domhnall Gleeson Durée : 2h36 Pays...

Hommage à Jean-Claude Pirotte

Le poète et écrivain Jean-Claude Pirotte serait mort en mai 2014 Plume d’oie sur feuille blanche : j’écrivais à l’autre bout de l’Europe un mémoire sur Jean-Claude Pirotte. Appliqué et grotesque comme sont ceux qui ressentent violemment leur imposture. Il faisait froid. La nuit tombait à quinze heures. De temps à autre, la corne d’un ferry appareillant sur la Baltique secouait mes pensées engourdies. J’étais dans les brumes avec Pirotte. Dans le mirage des brumes. Sa phrase remontait en pendulant doucement dans la gorge, se déployait en coteaux et en combes puis s’affaissait sur son désespoir qui éclairait bizarrement le pavé. Ma plume d’oie sur cahier blanc manœuvrait sans inspiration les ustensiles de boucherie stylistique. De l’isotopie par là, du sujet lyrique autant que de l’énonciation…un titre pompeux : « Un chant qui toujours déchante, poétique de la Vallée de Misère, etc ». Je marchais sur des œufs, avec des grosses tatanes. Je buvais des pils insipides. Pas de vin là-haut. J’avais lu très tard, au milieu des nuits, seul ou presque dans la bibliothèque universitaire du département de romanistik, j’avais lu sa phrase sinueuse et limpide. Je voulais me faire une foi de ce poète qui vivait en poésie, qui avait marchandé aux limites du monde social avant de s’exiler en poésie : les fugues d’enfance et d’adolescence, l’avocat réfractaire, la condamnation et la cavale, l’impossible rédemption littéraire, l’inaccessible péremption des peines…Les petits poèmes presque anodins de La vallée de misère au milieu de cette fugue reflétaient en journal de bord désaxé ma propre fugue sans rime ni raison. Que foutais-je exactement là-haut ? Pourquoi Pirotte ? Je me cherchais. Je me cherchais où j’étais sûr de n’être pas. Je cherchais ce qu’était la poésie de l’époque. Je me plantais complètement. J’avais déniché le plus inactuel des contemporains, et...

Mon vrai boulot, Grégoire Damon

Grégoire Damon est un auteur lyonnais à l’écriture directe et corrosive. Son inspiration n’émane pas plus des saintes chapelles de la poésie qu’elle ne descend du ciel; elle remonte au contraire de l’autre source où se renouvellent les littératures : la ville, la rue, toute la matière cruelle de la vie contemporaine. Mon vrai boulot, le titre de son recueil, donne d’abord à entendre cela : une certaine façon de tenir la chronique des tribulations d’un jeune homme de petits boulots en petits boulots. Ni triviale ni nombriliste cependant, son écriture adresse une riposte aux agressions du monde social,  lesquelles se dissimulent dans le sinistre vocabulaire de notre actualité: agence d’intérim, nucléaire, OGM, crise, fastfood, etc. Grégoire Damon exorcise d’une façon goguenarde ce kaléidoscope, ces réalités répandues dans les écrans qui infusent nos perceptions incertaines : s’asseoir et regarder la mer et regarder la mer en streaming ce n’est pas la même chose que [… ]s’asseoir et regarder un feu de bois téléchargé légalement  La lecture de Mon vrai boulot, aux éditions du Pédalo Ivre suggère que l’auteur s’est fait la main sur scène, comme de nombreux poètes d’aujourd’hui. La quatrième de couverture mentionne des « lectures-performances et des concerts rock ». De là une prosodie qui ne s’embarrasse pas d’afféteries formelles, ne cherche pas à « troufignoliser l’adjectif » (Céline), pas davantage à fonder dans une quelconque avant-garde un futur académisme. Il s’agit d’abord de répliquer au tintouin de l’époque avec les armes qu’elle nous tend. Ses mots, souvent élimés, ses sonorités métalliques. De fait, les effets de rythme de ces textes en vers libre  témoignent, plus que d’une simple influence, de l’infiltration des musiques électrisées dans la matrice d’écriture : ce ne sont pas les paroles qui comptent c’est la musique tactactactactactactactactactactac la belle mitrailleuse d’exister Il reformule là...

Pamphlet contre la mort, Charles Pennequin

La phrase de Charles Pennequin est une foreuse, une spirale de fer qui  creuse dans la langue, tourne sur elle-même, remonte des tonnes de gravats, plâtreries, stucs, tessons de discours éculés et détruit, broie, avance, n’en finit pas vrombir, essayer d’assouvir son appétit monstrueux, une faim des choses sensibles dissimulées sous la pompe oiseuse des mots. Difficile, en conséquence, d’en citer quelques lignes significatives ;  le texte évolue par soubresauts, coq-à-l’âne et approximations qui dévident un fil de sens déchaîné. C’est dans la durée que ce jeu de déviations incessant suscite l’émergence  de blocs compacts qui font sens et emportent l’adhésion. Pour donner tout de même un exemple, le texte prend vie lorsque le paragraphe bute et renaît en s’accrochant à une suite de substantifs apparemment sans liens (cheville – chevillé – question- l’auteur- l’autre) au moment même où il décrit le surgissement de la pensée dans l’écriture : «quelle est cette pensée qui surgit dans l’écrit ? je ne le sais pas complètement, je sais qu’il y a quelque chose qui s’est déroulé, qui s’est chevillé au corps, c’est la cheville ouvrière de l’être parlant, le type qui se coltine toute la chose et dedans et qui n’est pas l’auteur en question, l’auteur en question n’est pas questionné. Il est seulement en représentation, alors que l’autre s’est tapé la chose » « Ouvrière » a également son importance. Pennequin ne travaille pas dans les limbes de la création pure. Poésie de chantier, poésie aux mains sales, poésie dans mine à ciel ouvert, cette toupie produit dans sa giration un martèlement qui s’accorde parfaitement à la rythmique givrée du monde. Il faut quelques pages pour se plier au vertige de l’écriture, puis se laisser entraîner à cette façon de forcer la langue à parler autrement – cette façon de taper...