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The Grandmaster, Wong Kar Wai

En 1936, Ip Man, un maître de Win chu, variante du Kung Fu, mène une vie paisible à Foshan, entre sa famille et sa passion pour les arts martiaux. Mais Gong Boasen, grand maître de l’ordre des arts martiaux chinois, décide de se retirer. Il a déjà désigné Ma San pour représenter le Nord, et cherche désormais un digne successeur pour le Sud. Ip Man est choisi par ses pairs et doit se confronter au grand maître Boasen. À cette occasion, il rencontre Gong Er, la fille de ce dernier, elle-même maître du style Ba Gua. De cette rencontre naissent respect et sentiments réciproques. Quelques temps plus tard, la vie d’Ip Man est bouleversée par le conflit sino-japonais. De son côté, Gong Er poursuit son désir de venger son père, assassiné par Ma San. Le nouveau film de Wong Kar Wai reproduit obstinément l’esthétique et les thématiques centrales du cinéaste hongkongais. On retrouve ainsi une photographie magistrale jouant sur le flou, le clair-obscur et le mouvement. La mélancolie des personnages est notamment relayée par les nombreuses scènes ralenties, fragmentées, par les gros plans décalés et une musique toujours traînante, indolente, qui exploite au mieux l’essence du violoncelle. Le plaisir esthétique est indéniablement là. Wong Kar Wai ne se renouvelle pas, ou peu. Faut-il s’en plaindre ? Là où le cinéaste surprend, c’est lorsqu’il parvient à réconcilier action et contemplation. Wong Kar Wai transpose en effet sa maîtrise du cinéma contemplatif sur les nombreuses scènes de combat que compte l’œuvre. Car le kung fu filmé par ses soins n’est ni exaltant ni spectaculaire. Il réussit à l’intégrer à sa manière, et le spectateur le contemple comme il se délecte d’une scène méditative. Won Kar Wai coupe son film en deux grandes époques, séparées par une décennie...

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Promised Land, Gus Van Sant

Avec Promised land, Gus Van Sant aborde le sujet actuel et épineux de l’extraction du gaz de schiste, sujet qui, au cœur d’un questionnement sur la dépendance énergétique, suscite des prises de position souvent violentes et manichéennes. Aux Etats-Unis, le débat est au cœur du mandat Obama. Le réalisateur de Will Hunting et d’Elephant ne se lance pas, on s’en doute, dans un documentaire sur la question ; entre ses mains, le débat écologique est davantage le prétexte à une réflexion sur la démocratie à l’américaine. Résumons. Deux employés d’une grande firme spécialisée dans l’extraction du gaz de schiste, Global, parcourent des campagnes américaines sélectionnées pour de potentiels gisements, afin de convaincre les habitants de laisser l’entreprise exploiter leurs terrains. Le duo de commerciaux est  bien rodé : Steve Butler, chef d’équipe en pleine ascension professionnelle, est accompagné de Sue, une battante à l’esprit délicieusement caustique. Pourtant, lorsqu’ils se rejoignent pour leur énième mission dans une petite bourgade de campagne, rien ne se passe comme prévu. Deux figures grippent le système : un professeur du coin, ancien ingénieur, qui alerte la population ignorant les risques de l’extraction du gaz par fracturation hydraulique, et un écologiste « parachuté », qui dénonce à coups d’images chocs les méfaits d’une telle exploitation. Cette mission retorse, durant laquelle les ratés s’enchaînent jusqu’au comique, est finalement l’occasion d’une prise de conscience chez le personnage principal. On s’attend à retrouver l’habituelle distribution des débats, plaçant d’un côté industriels et exploitants cupides, de l’autre écologistes radicaux. Or, le réalisateur s’attèle à introduire un peu d’ambivalence au pays des opinions tranchées et des caricatures faciles. Le premier parti-pris de Gus Van Sant consiste à faire en sorte que le spectateur s’identifie à Steve Butler, le présumé coupable, représentant d’une firme qui s’enrichit en exploitant le gaz de schiste. Nous sommes de son côté dès la première scène du film : Steve s’asperge le visage d’eau dans les toilettes d’un restaurant, visiblement stressé par un rendez-vous professionnel. Alors que son employeur lui demande la clé de sa réussite, il explique avec sincérité être comme les gens qu’il démarche car il a grandi dans le même genre de petite ville. Sans arrogance ou mépris apparent, Steve est par bien des aspects le prototype du bon gars, simple et souriant. Il répète d’ailleurs à la jeune institutrice qu’il veut séduire : « I’m not a bad guy ». Assez vite, on comprend que son engagement chez Global est lié à sa jeunesse dans une région sinistrée : l’exploitation du gaz de schiste est à ses yeux la seule façon pour ces provinces de ne pas mourir à petit feu. Ainsi se forge notre sympathie à l’égard du personnage, sympathie d’autant plus troublante qu’on ne s’attendait pas à l’éprouver. L’ambivalence de Steve s’accroît au fil des révélations sur ses pratiques de vente – corruption, mensonges, intimidation – qui correspondent plus à notre représentation type du V.R.P. peu scrupuleux, mais constituent, dans la logique du personnage, les petits moyens au service d’un noble projet. De la même façon, la figure de l’écologiste n’est pas très enthousiasmante : Dustin Noble travaille seul, utilise les mêmes stratégies d’intégration que ceux qu’il combat, tombe facilement dans les excès et le spectaculaire (on pense notamment à sa démonstration devant des bambins apeurés sur les méfaits du gaz). On apprendra finalement qu’il n’est qu’une création de toutes pièces de Global. Gus Van Sant nous fait ainsi circuler d’une figure à l’autre du débat pour comprendre chaque position et critiquer ses dérives. Premier point d’une réflexion sur une démocratie plus saine et plus constructive. L’autre point phare de cette réflexion réside dans la mise en lumière de l’extrême pauvreté du débat démocratique. A l’image d’un jeu politique médiatique à plus grande échelle, tenants et opposants du projet d’exploitation ne se situent que dans des activités de communication publicitaire et de lobbying, n’envisageant pas un instant d’argumenter sur le fond du problème de façon rationnelle et éclairée. Quand Steve ne met en...