Home, Toni Morrison

Depuis une dizaine d’années, les romans de Toni Morrison évoluent vers plus de concision, mais ne se départissent jamais de leur puissance d’évocation. C’est le cas de Home, son dernier roman : moins de cent-cinquante pages sont nécessaires pour décrire l’atmosphère de l’Amérique des années 50 et raconter le destin d’un frère et d’une sœur noirs, jetés dans le bain du racisme et de la ségrégation. Le roman s’ouvre sur un bref poème, dans lequel le narrateur se prend à rêver d’une maison  différente de celle dont il a la clef : « J’en ai rêvé une autre, plus douce, plus lumineuse / qui donnait sur des champs traversés de bateaux peints/ sur des champs vastes comme des bras ouverts/pour m’accueillir » ; et il se ferme sur deux phrases laconiques, isolées au sein du dialogue : « Viens, mon frère. On rentre à la maison ». Entre les deux, dans l’espace laissé par cette centaine de pages, Toni Morrison construit le trajet de Franck et de Cee, à la recherche de cette maison, de ce refuge. Comme le titre l’indique, le roman est le récit de cette quête : trouver un chez-soi, un abri, une sécurité, qu’elle soit matérielle ou symbolique. Dès le début du roman, le narrateur évoque un exil : celui de la famille de Franck et Cee, jetée sur les routes par des individus « à la fois avec et sans cagoule ». Déracinée, condamnée à l’errance, la famille trouve un semblant de refuge dans la petite ville de Lotus où habitent déjà les grands-parents, Lenore et Salem. Tous se partagent d’abord douloureusement la même maison. Puis, au prix d’efforts considérables, les parents parviennent à acheter leur propre bicoque. Cependant, étouffés par cette ville « sans trottoirs ni canalisations intérieures », les enfants fuient, Franck en Corée, Cee à Atlanta, avec « la première créature...

fév05

Happiness Therapy, David O. Russell

Pat Solatano est maniaco-dépressif. Tout juste sorti de l’hôpital dans lequel il était interné, il a une obsession : reconquérir la femme qui l’a trompé mais dont il se croit très amoureux. Il rencontre Tiffany, jeune femme perturbée par la mort de son mari. Celle-ci lui propose de l’aider à reconquérir son amour perdu s’il accepte d’être son partenaire pour un concours de danse. Avec Happiness Therapy, David O. Russell se frotte au genre très british de la comédie romantique. Ne ménageons aucun suspense, il s’y vautre de façon assez lamentable. Car le film n’est pas à la hauteur de ses prétentions dont la première d’entre elles est d’être drôle. Les gags sont lourdauds, convenus, souvent pathétiques. Ils conviendraient fort bien aux amateurs de teen movies américains, mais le problème est que le film n’a pas cette modestie. Et le comique pop-corn dans tout ce qu’il a de plus exaspérant se déverse à nos pieds. Les acteurs en prennent aussi pour leur grade : Bradley Cooper s’agite, gesticule, fait le fou, nous explique qu’il est drôle. A tel point que l’on est gêné pour lui. Jennifer Lawrence, crie, pleure, remue dans tous les sens, multiplie les doigts d’honneur. Elle nous montre qu’elle est hystérique, oui, mais pleine de sensibilité. Rappelons qu’elle a obtenu l’Oscar de la meilleure actrice pour cette prestation innommable. Il suffit  visiblement de vociférer en se roulant par terre afin d’être récompensé outre-atlantique. Le scénario n’arrange rien : il est convenu, pauvre, prévisible. L’intrigue repose sur les sentiments refoulés de Pat pour Tiffany. Mais à la fin, l’amour triomphe. Quand Russell tente de nous surprendre, c’est pour livrer un coup de théâtre à ce point convenu qu’on s’en veut de ne pas l’avoir vu arriver. Le tout culmine avec la scène de bonheur familial...

fév01

Lincoln, Steven Spielberg

Avec Lincoln, Steven Spielberg renoue avec son penchant pour la grande Histoire. Après avoir filmé le débarquement dans Il faut sauver le soldat Ryan et traité l’esclavage dans Amistad, le voici qui s’attèle à la figure du légendaire président des Etats-Unis au moment du vote du Treizième amendement abolissant l’esclavage. Si Lincoln est une chronique réussie de la vie politique américaine, le traitement de la matière historique pose problème. Qu’il le veuille ou non, le réalisateur aux prises avec ce genre livre au public une leçon d’Histoire. Il doit à celui-ci de marquer une distance avec son objet d’étude et de l’interroger. Sans cela, il prend le risque d’influencer insidieusement le spectateur en le délestant de son sens critique. Ne nous trompons pas : il s’agit ici d’essayer de distinguer le biopic de qualité de l’apologie facile,  banale et peu stimulante.  Et, malheureusement, ce Lincoln appartient à la seconde catégorie. Spielberg ne fait pas l’économie de pathos ni d’effets grossiers. Il souligne les émotions à grandes doses de musique, joue sur les points de vue, manie à sa guise les tempéraments de ses personnages, berce finalement le spectateur là où il faudrait le tenir éveiller et nourrir sa réflexion. Ces procédés sont contestables dès lors que l’on traite d’Histoire puisqu’ils dissimulent au moins un point de vue culturellement marqué, au plus une interprétation personnelle. Le genre historique réclame de ne pas virer au panégyrique sans quoi il floue le spectateur : il se fait passer pour un travail d’historien alors qu’il n’est qu’un film de divertissement. Cet écueil accompagne en outre une conception étriquée de l’Histoire. On peut notamment déplorer les excès de solennité dans des discours à l’occasion desquels le temps semble s’arrêter. Encore, Lincoln disparaît dans l’ombre, prend la pose, change d’opinion dans un...